Retrospective 2021 : un an d’articles dans Libé

Bonne année (1)2022 ! En (1)2021, en dépit de toute ma bonne volonté, le blog curiologie a beaucoup roupillé. Je suis le premier à le déplorer, mais malheureusement, mon travail à Libé – en particulier en cette période de crise sanitaire – accapare l’essentiel de mes ressources. De fait j’aurais également refusé, l’an passé, de nombreuses chouettes propositions de « collab' » avec des vulgarisateurs, et interrompu plusieurs activités qui me tenaient énormément à cœur – comme la coordination du festival Vitry sur Science. Quant aux projets éditoriaux qui étaient dans les cartons, ils vont y rester encore un peu, je le crains… Bref.

Cent deux à la centaine

En 2021, donc j’ai écrit (ou co-écrit) 102 articles pour Libération, format web ou papier. J’ai l’air affirmatif comme ça, mais j’ai pu en sauter ou en compter en double, m’enfin vous avez l’idée. Disons cent, parce que dictature des chiffres ronds.

Pour cette centaine de papiers, le temps de rédaction a pu varier de quelques heures (pour les éclairages les plus triviaux ou les exercices de vulgarisation les plus classiques) à plusieurs semaines (é que s’apelorio des enquêtes). Je ne vais pas faire une sélection « 12 articles pour 12 mois », notamment parce qu’il n’y a aucune raison que les articles les plus intéressants soient dispersés de façon homogène sur l’année (rappel : l’actualité est aléatoire). Je vais simplement épingler une vingtaine d’articles que j’ai soit eu plaisir à écrire, soit qui m’apparaissent symptomatiques de l’année écoulée.

Un p’tit peu de covid pour bien démarrer l’année ?

Le tout premier article de l’année porte sur un sujet… qui deviendra le fil rouge de l’année, justement. LE sujet qui, dès le début, nourrissait l’incompréhension du grand public, et dont aucun article de vulgarisation ne semble être venu à bout : Covid-19 : le vaccin empêche-t-il la transmission du virus? Réponse courte : l’objectif affiché de ce vaccin est de réduire le risque de forme grave (pas à 100%), et on pouvait espérer qu’il limite un peu la propagation, sans trop escompter une pleine immunité stérilisante. Dans le meilleur scénario, il permet d’envisager l’immunité collective… mais ça n’est qu’un scénario. L’avenir le confirmera (voir par exemple cet article écrit en juin) : variants après variants, l’ambition d’une immunité stérilisante s’évaporera rapidement. Et beaucoup de réfractaires à la vaccination de rabâcher l’élément de langage « ça sert à rien de se faire vacciner quand on n’est pas à risque, on transmet quand même ». Trois réponses à cela : 1°) on transmet moins, 2°) des formes graves existent chez des personnes qui ne sont pas à risque, 3°) covid long.

Parmi les autres articles notables de janvier : Vaccin : Pfizer se met tout le monde à dose, où mes collègues et moi-même vous racontions comment « le laboratoire et son partenaire BioNTech ont trouvé le moyen d’amputer de 20 % les livraisons de flacons de leur vaccin aux Etats européens, au motif qu’il est possible d’en tirer une sixième dose. Augmentant ainsi considérablement leurs bénéfices et compliquant les campagnes de vaccination. »

Le 1er février est sorti un article particulièrement utile, car il répondait à des billevesées particulièrement toxiques. Que sait-on de l’étude de Stanford, présentée comme la preuve de l’inutilité du confinement? Avec l’aide de l’excellent Gideon Meyerowitz-Katz, épidémiologiste australien, nous avons relevé un  chapelet erreurs méthodologiques grossières qui semblent avoir échappé aux auteurs (par ailleurs notoirement hostiles aux mesures publiques qui fragilisent l’économie). La partie la plus coquasse de ce debunk est probablement celle où les auteurs m’affirment que si l’on juge leur méthodo foireuse, il faut considérer que l’étude de référence qui leur sert de modèle l’est aussi. Réponse (en substance) des chercheurs qui avaient signé l’étude de référence en question : notre étude ne leur sert absolument pas de modèle, ils ne suivent pas notre méthodologie, on peut même dire que leur truc c’est de la merde. Je résume, hein, mais vous avez l’idée.

Article qui n’a pas eu grand succès, pourtant loin d’être dénué d’intérêt : Vaccin Covid-19 : que valent les annonces israéliennes sur la baisse du risque d’infection? Les infos qui remontent d’Israël étaient très enthousiasmantes. Seul problème : au-delà des annonces, impossible d’avoir accès aux données, ou à la méthodologie employée. Quand les chercheurs refusent de répondre aux questions, le scepticisme est une précaution d’usage. Hachetague show me the data

Autres articles notables du mois de février : Traitement précoce : les covidosceptiques veulent faire avaler leurs pilules, sur un pseudo-protocole de soin d’inspiration raoultienne, sauce nawak. Et, pour la bonne bouche, Le remdésivir a-t-il joué un rôle dans l’apparition de certains variants, comme l’a suggéré Didier Raoult?, au sujet d’un certain savant de Marseille qui affirme des trucs, études à l’appui, et que quand on demande aux auteurs de l’étude si ça dit ce que dit le savant, ils disent « hein, watzefuk, mais non pas du tout, d’où il sort ça le mec, LOL ? » Si ça vous fait penser à l’étude de Stanford précitée, c’est normal : il n’y a apparemment pas deux-cents façons de jouer du pipeau.

Je préférais mon titre…

Mais je ne saurai conclure ce mois de vingt-huit jours sans citer un papier qui, lors de sa sortie, a fait grand bruit : Les informations confidentielles de 500 000 patients français dérobées à des laboratoires et diffusées en ligne (suivi quelques jours plus tard de Fuite de données de santé de 500 000 patients : les retards et les ratés des autorités). Une enquête à quatre paires de mains, menée avec trois collègues, qui s’est faufilée jusqu’aux vingt heures des grandes chaînes nationales. Pas peu fier de celle-là, j’avoue. Mon seul regret : ma proposition de titre pour la une du journal a été refusée. Avouez que ça aurait eu de la gueule, un Libé avec en pleine page : « Ta mère à poil sur Internet (avec 500.000 autres personnes) ».

Un p’tit peu de covid dans votre printemps ?

On saut directement à la deuxième quinzaine d’avril avec Comment évalue-t-on la «balance bénéfice-risque» d’un vaccin?, article qui porte bien son titre, et qui soulève énormément de bonnes questions que je ne me posais pas avant de me lancer sur le sujet. Pas longtemps après, un article peut-être plus utile encore : Est-il vrai que des centres de pharmacovigilance ont appelé à limiter les signalements d’effets secondaires des vaccins? La réponse courte est « oui », et ça n’a absolument rien de scandaleux, surtout si vous lisez la réponse longue, « oui pour les effets secondaires communs déjà documentés – vu qu’ils sont déjà documentés – et non pour tous les autres, eux on en a besoin ». A saturer la pharmacovigilance avec des cas triviaux, on retarde le moment où les experts vont traiter les signalements graves, et détecter les « signaux de pharmacovigilance », et donc retarder le moment de donner l’alerte. Si vous pens(i)ez que la pharmacovigilance sert à être exhaustif de tous les effets secondaires bénins, vous n’av(i)ez pas compris à quoi sert la pharmacovigilance.

Au mois de mai, plusieurs papiers « pas covid », dont un déjà relayé dans les colonnes du blog : Les dinosaures sont-ils des reptiles? Car CheckNews, ce n’est pas que des enquêtes sur l’actu : c’est avant tout des réponses (parfois inattendues) à des questions (parfois inattendues). Clairement, ce billet aurait pu être directement écrit pour Curiologie, mais hé, en comité de rédaction, on a unanimement jugé que c’était une vraie chouette question ! Pour l’anecdote : j’étais persuadé que ladite question avait été posée par un paléontologue facétieux, qui savait d’avance que la réponse allait nous amuser. Pas du tout : après envoi de la réponse, il s’avère que c’est une maman qui a transmis la question de son enfant, élève en primaire. J’aurais su, j’aurais rédigé l’article de façon un peu moins technique, et avec un ton un peu plus… mmm… curiologique ! C’était également l’occasion pour moi d’échanger avec l’excellent Guillaume Lecointre, avec qui j’avais eu le plaisir de faire des sottises dans un passé pas si lointain.

Dans les autres articles notables du même mois, on pourra citer le beaucoup lu Que vaut l’argumentaire du CRIIGEN sur les risques liés à la vaccination? (spoiler : grosso modo ce que valent généralement les argumentaires du CRIIGEN…) et, pour faire un peu d’incépcheune, le rétrospectif Covid-19 : les médias ont-ils fait volte-face sur l’hypothèse d’un virus échappé d’un laboratoire? ; article qui constate que, sur ce sujet en 2020, les grands médias francophones dézinguaient surtout les théories les plus brindezingues, mais évitaient de trop s’avancer sur la question de la « fuite de labo » (sur ce même sujet, l’article d’Arrêt sur Images n’est pas mal non plus).

Sous le soleil du covid
Son surnom ne signifie pas non plus « la Banque », n’en déplaise à Google Translate…

Passons vite fait sur juin – avec Pourquoi Didier Raoult a-t-il porté plainte contre Elisabeth Bik, enquêtrice sur les erreurs et fraudes scientifiques?, que je vous cite parce qu’il revient sur l’œuvre de la championne du monde de Fraudoshop? – pour jeter un oeil aux articles estivaux. Sous le parasol : de la pharmacovigilance, du covid, et bien sûr encore du covid. Vous pouvez commencer la baignade dans la mer du nawak en plongeant dans cette énième foirade du père Raoult, assez illustrative de son style (S’ils développent le Covid-19, vaccinés et non-vaccinés ont-ils le même risque de mourir, comme l’affirme Didier Raoult?).

Mais vous pouvez aussi vous tourner vers des articles plus légers et rigolos, comme : Non, le surnom donné à Emmanuel Macron en Polynésie ne se traduit pas par «effet secondaire». En fait, ça veut dire « la Banque » (en tout cas, si on bidouille suffisamment Google Traduction).

Tiens, j’avais oublié ça. À plusieurs occasions durant l’été, on a eu le droit à des chiffres balancés par des ministres, qui semblaient sortir du chapeau (Véran, Darmanin, Blanquer…). Il faut souvent batailler sec avec les services ministériels pour avoir un semblant de début de vague réponse sur l’origine desdits chiffres, en mode « t’inquiète frère ». L’opacité et le nébuleux : de formidables outils pour entretenir la confiance en temps de crise.

Effets secondaires des vaccins et taux d’hospitalisation des vaccinés

La deuxième partie de l’année s’illustre surtout par (le début d’)un tsunami de questions sur des chiffres apocalyptiques quant aux effets secondaires de la vaccination. Tout repose à chaque fois sur la confusion, savamment entretenue par les anti-vaccins, entre signalements et cas avérés. Sauf erreur, le bal commence en juillet avec Non, l’Agence européenne du médicament n’a pas imputé plus de 17 000 décès à la vaccination et s’est poursuivi au fil des mois (au pif, ). L’explication triviale n’ayant apparemment aucun effet sur la désinformation.

L’autre grande série de questions récurrentes du second semestre 2022 concerne le constat selon lequel « il y aurait plus de gens vaccinés hospitalisés que de non-vaccinés ». Je crois que ça a débuté avec l’article Covid 19 : est-il vrai que la majorité des personnes hospitalisées en Israël sont vaccinées?, et que ça n’a pas cessé jusqu’en décembre). Pour rappel : ce constat est escompté, même avec un vaccin très efficace, lorsqu’une très grande partie de la population est vaccinée. La part des vaccinés parmi les hospitalisés est une donnée qui, fondamentalement, ne nous apprend rien. Ce qui importe, c’est de comparer d’un côté la part de non-vaccinés touchés parmi la population de non-vaccinés (d’une classe d’âge donnée) et, de l’autre, la part de vaccinés touchés parmi tous les vaccinés (de la même classe d’âge). Quand on fait ça, surprise : on voit bien que la vaccination protège. Dans les avatars notables du même sujet, je retiens Est-il vrai que le nombre de cas positifs a progressé de 2 500% à Gibraltar, où 99% de la population est vaccinée?. Divulgaching : 2500% de pas grand chose, ça fait pas grand chose.. quant aux non vaccinés, effectivement très minoritaires dans la population générale, ils représentaient tout de même près d’un tiers des nouveaux cas.

Ça ne semble pas si difficile à comprendre, et pourtant, même le service communication du ministère de la Santé n’allait pas manquer de se planter en se saisissant du sujet. Qui qui c’est qui a lancé la campagne « On peut débattre de tout sauf des chiffres » basée… sur le taux de non-vaccinés rapporté au total des cas hospitalisés ? Qui qui c’est qui n’a pas pensé que, dès lors qu’il y aurait enfin beaucoup de vaccinés dans la population, ça n’aurait plus de sens ? Qui qui c’est qui se reprend cet élément de com’ pourri comme un boomerang à l’automne ? (à la rentrée, un de mes collègues a d’ailleurs fait un chouette papier pour expliquer à quel point c’était con).

Allez, on va finir l’été avec un petit truc léger : Que sait-on de Sean Brooks, «docteur d’Oxford» qui apparaît dans une vidéo virale antivax ? Un p’tit billet rapide qui rappellera, à toute fin utile, qu’on peut revendiquer le titre de «docteur» sans être médecin, et n’avoir aucune affiliation avec l’université britannique d’Oxford… tout en résidant à Oxford (dans l’Ohio).

C’est déjà l’automne-eu, les masques tourbillonne-eu…

Pour le mois de la rentrée, je me remémore ce petit article qui illustre l’art politique du « plus c’est gros plus ça passe » : Est-il vrai que deux des dix publications scientifiques les plus citées durant la crise du Covid sont françaises, comme l’affirme Frédérique Vidal ? » Réponse, que nenni. Et pour la blague : le premier article français le plus cité ne l’est pas forcément « en bien », puisqu’il s’agit d’une certaine étude marseillaise au doux parfum de grand n’importe quoi. No comment.

Pour finir cette rétrospective déjà bien trop longue, je vais essayer de voir si je peux vous proposer autre chose que du covid… Mmmm… Il y avait cet article, pas si mal, sur le nucléaire allemand. Il n’épuise pas du tout le sujet, mais contient pas mal d’éléments intéressants pour nourrir le débat : En Allemagne, l’abandon du nucléaire s’est-il accompagné d’un recours accru aux énergies fossiles?

Qu’est-ce que je peux vous trouver de pas covid… Mmm… Dur, dur. C’est le triste sort d’un journaliste scientifique spécialisé en santé en temps de pandémie. Oui, à vrai dire, l’article le plus intéressant dans la liste est complètement covid : Covid-19: les services de réa parviennent-ils à identifier les faux vaccinés ? Un article qui a été énormément lu, repris et commenté, et qui a initié chez les confrères une vague de papiers – hélas pas toujours très exacts… – sur le même sujet, ainsi que quelques enquêtes intéressantes sur les filières de faux certificats vaccinaux.

Allez, je vais quand même réussir à fermer la rétrospective 2021 avec un billet « pas covid » : Les illuminations des fêtes de fin d’année augmentent-elles la pollution lumineuse et perturbent-elles la faune ? Espérons que cela augure d’une année 2022 moins coronacentrée ! Il ne tient qu’à vous d’exaucer ce souhait, en posant vos questions sur les sujets sciences à CheckNews ! A défaut de curiologie sur Curiologie, vous pouvez en introduire dans Libé !

Excellente année à toutes et à tous.
Amitiés;

@curiolog

Une réflexion sur “Retrospective 2021 : un an d’articles dans Libé

  • 4 février 2022 à 20 h 03 min
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    Mais quelle riche idée cette rétrospective !

     » Mon seul regret : ma proposition de titre pour la une du journal a été refusée. Avouez que ça aurait eu de la gueule, un Libé avec en pleine page : « Ta mère à poil sur Internet (avec 500.000 autres personnes) ». »
    On avoue, on avoue !

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