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Tuto du confinement : fabriquez votre calendrier holocène !

Et si vous profitiez du confinement pour réaliser une activité manuelle curieuse et ludique à la fois ? Je vous propose en effet de fabriquer à peu de frais le plus cool des calendriers : le calendrier holocène.

Pour réaliser cette activité :

1. Munissez-vous d’un calendrier de l’année en cours, ainsi que d’un stylo. Allez-y, je vous attends.

2. Avec ledit stylo, rajoutez un « 1 » devant tous les « 2020 » que vous apercevrez sur le calendrier.

3. Bravo ! Vous avez un calendrier holocène ! Bon, voilà, ça vous a pris une minute, mais c’est toujours ça de pris sur les soucis du covid-19.

C’est une plaisanterie ?

Non, pas du tout. C’est très sérieux, et c’est absolument génial. Atta’, cht’explique.

Les dates du calendrier grégorien, plus dix mille ans

Au moment de publier ces lignes, nous sommes le 5 mars 12.020, selon le calendrier holocène. Un calendrier qui repose sur une idée brillante, et un principe incroyablement simple.

Christophorus Clavius, concepteur du calendrier promulgué par le pape Grégoire XIII en 1582.

Le principe, vous l’avez déjà saisi, consiste à ajouter 10.000 ans à la date en cours de l’ère dite conventionnelle (ou ère commune), celle associée au classique calendrier grégorien. Pour les dates « avant J.-C. », il faut faire un petit calcul pas bien méchant [1].

Pour le côté brillant, il faut d’abord dire les choses comme elles sont : le calendrier du pape Grégoire, il a moult défauts. Retenons les deux plus saillants.

Premièrement, même s’il s’est imposé comme un standard avec l’informatique et la mondialisation des échanges, il ne vous aura pas échappé qu’il fixe son année « 1 » sur celle de la la naissance (présumée) de Jésus de Nazareth. Or, soyons francs, pour une bonne partie de l’Humanité (au moins trois milliards de gens, je dirais), ce personnage inspire… au mieux… une indifférence polie. Et pour une partie de ladite Humanité, le christianisme c’est même carrément de mauvais souvenirs. Si vous n’êtes pas chrétien, cet « an 1 » dédié au « fils de Dieu et Dieu lui-même » ne fait pas grand sens. Pour l’universalité, on repassera. Et sachant que pour les historiens chrétiens eux-mêmes, Jésus n’est pas né en l’an 1 (et plus probablement vers « -4 »), ça la fiche mal…

Poterie Jōmon du site de Hinamiyama, datée d’entre l’an 1 et l’an 2000 de l’Ère Humaine. Collection de la ville de Yokohama.

Deuxième souci avec cette datation à la Grégoire : l’an zéro n’existe pas. L’an 1 avant l’ère conventionnelle enchaîne directement sur l’an 1 de ladite ère. Pour les calculs des périodes qui chevauchent ces dates, c’est très agachiant. De même qu’il est agachiant de compter à rebours pour conter la vie de gens qui n’avaient pas nécessairement demandé à être considérés comme un « avant le commencement des choses sérieuses ».

Alors qu’avec le calendrier holocène…

Avec le calendrier holocène, on commence le décompte dix mille ans plus tôt. Et c’est génial.

L’an « 1 » de notre « calendrier holocène » semble arbitraire… Ce n’est pas tout à fait faux, mais pas tout à fait vrai non plus. Car cet an « 1 » est une approximation (qui tape pas dans le mille, mais pas loin) du début de l’ère géologique actuelle, l’Holocène (nom qui signifie « entièrement récent »).

Détail d’un des piliers du site de Göbekli Tepe, situé dans l’actuelle Turquie, édifié et occupé au cours des deux premiers millénaires de l’Ère Humaine.

Dans ces eaux là, l’ère glaciaire s’achève. Chouette nouvelle pour l’Humanité, car cette époque marque le frémissement des prémisses de la Révolution néolithique (autrement dit la première révolution agricole), quand les humains ont commencé à établir des communautés fixes, à semer des graines et à bâtir les agglomérations « en dur ». Tant géologiquement qu’archéologiquement, tant historiquement qu’anthropologiquement, c’est un vrai tournant. Je m’avance à peine en disant qu’on s’apprête à pouvoir employer le mot « civilisations ».

Le calendrier de « l’ère humaine »

Et voilà toute l’affaire : ce qui est magnifique avec le calendrier holocène, c’est qu’il met toutes les civilisations humaines sur un même axe chronologique ascendant, sans que certaines soient reléguées à un « avant un évènement » qui n’a pas de signification pour le reste de l’Humanité. Ce calendrier place les civilisations humaines dans un continuum très facile à appréhender. Ce système de datation permet de mieux penser et concevoir l’Histoire, la succession des millénaires, l’apparition et le déclin des civilisations…

Cerise sur le pompon : notre calendrier ne rend la vie de personne réellement plus compliquée : ça n’est qu’un chiffre nonchalamment ajouté au calendrier grégorien, dont une certaine universalité « de fait » s’est imposée à la fin siècle dernier.

Cesare Emiliani

Le système de l’Ère holocène est souvent attribué au paléontologiste italo-étasunien Cesare Emiliani, qui a proposé le système dans la revue Nature en 1993 (de l’ère conventionnelle !) et l’a approfondi en 1994. Toutefois, l’idée a semble-t-il été formulée soixante-neuf ans plus tôt par le français Gabriel Deville (1854-1940), journaliste, homme politique, diplomate et historien. Son système, apparemment décrit dans un document qui est parvenu jusqu’à nous, se nommait CNCA (calendrier nouveau de chronologie ancienne), et visait à simplifier le travail des historiens.

Emiliani a proposé son système en 1993. Quinze ans plus tard, un très important travail de synthèse de géologie et de paléoclimatologie ont permis de donner une fourchette de dates pour le début de l’Holocène. Je vous passe les détails, mais le consensus actuel place le début de l’Holocène il y a entre 11621 et 11819 ans [2]. Donc entre l’an 201 et l’an 399 du calendrier Holocène. On pourrait affiner le truc, proposer un calendrier Holocène décalé d’encore 200 ou 400 ans, mais en vrai : on s’en fiche.

Gabriel Deville

D’abord, parce que ce qui nous importe, ce n’est pas tant la géologie que l’Humanité (déso les géologues). Et que la « révolution néolithique » survient en divers points du globe, à diverses dates.

Il y a quelque chose de philosophiquement puissant et de poétique à admettre que l’an « 1 » de notre calendrier est fixé de façon fondamentalement arbitraire. On démarre nos calculs quelques centaines d’années avant le début de nos civilisations. On se donne un peu de marge, un flou historique sur les débuts de notre aventure commune… une façon, aussi, d’assumer franchement l’incertitude inhérente au travail des paléohistorien(ne)s. On se dit que « l’an 1 », on s’en fiche. On a déjà plus de 12.000 ans d’aventures communes. On ne va pas s’arrêter là…

Créez une frise chronologique holocène !

Si vous souhaitez une vraie activité du confinement, voici une très chouette idée :

1. Collez plusieurs feuilles entre elles afin de créer une longue bande qui matérialisera votre frise.

2. Inscrivez le « 1 » assez proche de la gauche (mais pas tout à gauche, car il s’est assurément passé des choses avant cet an « 1 », et « 12020 » assez proche de la droite.

3. Calculez les intervalles. Le plus simple est de trouver le milieu de votre frise, et d’y inscrire la date « 6000 », puis de trouver le point intermédiaire entre 1 et 6000 et d’y inscrire 3000, entre 6000 et 12000 et d’y inscrire 9000… Vous avez l’idée.

4. Commencez à chercher des dates « clef » de l’histoire humaine. Prenez des noms de civilisations que vous connaissez, placez-le sur la frise… N’hésitez pas à la décorer !

5. Envoyez-moi des photos de vos créations !

Vous pouvez également télécharger, imprimer et personnaliser le modèle ci-dessous.

J’ai hâte de découvrir ce que ce court billet vous a inspiré !

@curiolog

« Dix millénaires ? Ça vous flanque un de ces torticolis ! »

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Notes et références

[1] Tout simplement : ajouter 10001 à la date « négative ». Autrement dit, -3231 EC (ou « 3232 avant J-C ») devient 6770 EH.

[2] M. Walker et al. « Formal definition and dating of the GSSP (GlobalStratotype Section and Point) for the base of theHolocene using the Greenland NGRIP ice core,and selected auxiliary records », Journal of Quaternary Science, 2009. vol.24(1), pp. 3-17. doi:10.1002/jqs.1227

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