Le petit jeu du « Fraudoshop? »

Cela faisait quelques temps que je ne vous avais pas proposé de jeu sur curiologie. Durant les semaines à venir, en ces temps de confinement (et même au-delà), pourquoi ne pas passer le temps en faisant de passionnante parties de fraudoshop? en famille ?

Le « fraudoshop? » ? Kézaco ? Les règles sont très simples ! Ci-dessous vous sont présentées quatre images (tirées d’une même publication scientifique, ce sont les résultats de quatre expériences distinctes). Vous devez les scruter avec vos yeux de lynx pour repérer une éventuelle anomalie. Un truc bizarre. Que ce soit un éléphant dans le frigo ou une fourmi dans le potage.

Premier round !

Pour cette première partie de Fraudoshop?, je vous en donne un difficile, donc ne vous en voulez pas trop si vous ne trouvez pas ce qu’il y a à trouver. Je vous laisse tout le temps que vous voulez, et on se retrouve un peu plus bas pour la solution.

Alors ? C’est dur, hein ? Je vous rassure, moi non plus je n’avais pas trouvé. Mais quand vous aurez la solution sous les yeux, ça va faire « schboing » là-dedans :

Vous l’avez ? Les parties encadrées en bleu sont identiques, de même que les parties encadré en fuchsia. Ces photos ne sont donc pas les illustrations de quatre expériences distinctes, mais des recadrages d’une même image sur Photoshop (ou sur GimP, ou peut-être sur Paintbrush va savoir). Les images A, B et D sont des versions « zoomées » d’un même cliché. Autrement dit, des images assurément dupliquées, alors qu’elles sont supposées illustrer le fait que des phénomènes biologiques ont bien eu lieu, au cours des expériences décrites dans l’article.

Oh, bien sûr, on peut (toujours) imaginer une autre explication : celle d’une erreur de manipulation du logiciel de recadrage des photos. Erreur qui serait passée inaperçue auprès de tous les cosignataires de l’article. C’est toujours possible, en effet (on en reparle plus bas, car peut-être avez-vous en réalité gagné à un autre jeu…). C’est d’ailleurs l’explication systématiquement invoquée lorsqu’une équipe de chercheur se voit épinglée par des scrutateurs attentifs. C’est la raison du point d’interrogation dans le nom de notre jeu. [m-à-j : l’article en question a fait l’objet d’un erratum en juillet 2020, présentant les images qui, selon les auteurs, auraient dû figurer dans l’article initial]

Mais voilà : si j’emploie les mots « toujours » et « systématiquement », c’est que ces « accidents » ne sont pas isolés, et se répètent parfois souvent dans des articles où l’on retrouve certaines signatures.

Prêts pour 35.000 rounds de « Fraudoshop? » ?

L’exemple qui a servi de support à votre première partie de Fraudoshop? (aviez-vous trouvé la solution ?) a été débusqué par un contributeur de la plateforme de commentaires de publications scientifiques PubPeer (dont je vous ai déjà parlé dans plusieurs articles ainsi que dans un récent billet). À vrai dire, certains contributeurs de la plateforme se sont fait une spécialité de débusquer ces traficotages d’images. Traficotages qui sont autant d’arrangements avec la réalité qui peuvent servir de paravent à d’effarantes fraudes (voir par exemple mes articles sur l’affaire Obokata en 2014).

J’ai matière à vous proposer quelques autres rounds de Fraudoshop?. Les manipulations d’images font l’objet d’enquêtes depuis plus d’une douzaine d’années. Selon des travaux de la microbiologiste Elisabeth Bik datés de 2018, près de 35.000 articles issus de la littérature biomédicale sont suspects de présenter des figures basées sur une duplication d’images. Ces manipulations potentiellement frauduleuses peuvent, bien évidemment; justifier la rétractation des études publiées.

Le passage d’un cliché de laboratoire par un logiciel de retouche d’image n’est pas toujours preuve d’une fraude. Dans certains cas, les résultats obtenus peuvent être authentiques, mais appuyés par des illustrations difficiles à décrypter. On imagine alors volontiers qu’un laborantin « nettoie » l’image pour la rendre plus compréhensible, sans aucunement modifier le résultat du test. Toutefois, une solution plus élégante (et plus honnête) serait de retranscrire les données dans une infographie. En pratique, face au soupçon, il est légitime d’exiger les données initiales de l’équipe. Si elle échoue à les produire, cela sent fort, très fort, la fraude.

Elisabeth Bik vous défonce à « Où est Charlie ? » (Même si l’intéressée, interrogée par nos soins, estime que son entraînement la prédisposerait plutôt à repérer les situations où il y a deux « Charlie » dans l’image…)
« Fraudoshop? » ou « Fraudoshop » ?

Tant qu’il n’y a pas de rétractation d’article, ou que des institutions indépendantes n’ont pas clairement statué sur l’existence d’une fraude, vous jouez à une partie de Fraudoshop?, avé le point d’interrogation. Les points gagnés et accumulés au fil des parties sont transférables sans délai à une cagnotte « fraudoshop » (sans point d’interrogation) si le verdict tombe.

Pour organiser de futurs rounds de Fraudoshop (avec ou sans « ? »), on peut puiser abondamment dans le travail de la stakhanoviste Elisabeth Bik. Vous pouvez prendre de l’avance (bande de petits tricheurs !) en allant fureter sur son compte Twitter, où elle publie une partie de ses trouvailles. Vous pouvez également parcourir avec intérêt le blog de Leonid Schnei­der, qui s’adonne volontiers à ce genre d’exercices.

Ces derniers jours, l’attention d’Elisabeth Bik s’est portée sur une série de publications qui ont un point commun : la présence, parmi les signataires, d’un chercheur marseillais médiatique (notamment connu pour apposer son nom sur près d’une étude tous les deux jours). Le jeu d’illustrations du round 1 provient de l’un de ces articles.

Et il y a fort à parier que, sans effort, Elisabeth Bik et ses homologues aient bientôt à vous offrir de (nombreux) nouveaux round de Fraudoshop?…

@curiolog

 

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