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Cinq pastèques et potirons par jour ?

[ARTICLE MIS-À-JOUR !] Fin février, à la faveur de l’actu (voir plus bas), je me suis attelé au décorticage d’un nouveau « poncif médical » pour le site du Magazine de la santé : le slogan ultra-rabâché des « cinq fruits et légumes par jour ». S’appuie-t-il sur des études scientifiques sérieuses ? Ce régime a-t-il un bénéfice démontré, ou bien s’agit-il d’une simple exhortation à diversifier son alimentation ? Pourquoi ce chiffre de cinq ? L’intérêt s’estompe-t-il au-delà ? La réponse à ces questions pourrait tenir en quelques mots : pour une fois, on ne vous raconte pas de salades, et on ne se paye pas votre poire (toutoumtcha). Enfin à l’origine, un peu, mais finalement non. Disons qu’on avait raison pour des raisons un-peu-bancales-même-si-c’était-plausible.

Une chronique résumant une partie des résultats de cette petite enquête a été diffusée dans le Magazine de la santé du 18 mai 2017 (vidéo disponible sur le site de l’émission).

À l’origine : un coup de pifomètre ?

Extrait du rapport de l’OMS de 1990 établissement l’objectif de 400 grammes (5×80) de fruits et légumes quotidiens.

Précisons-le d’emblée, le célèbre slogan « mangez cinq fruits et légumes par jour » ne doit pas être pris au pied de la lettre, sinon quoi certains pourraient se contenter de cinq raisins secs… ou se sentir obligés d’engloutir quotidiennement cinq pastèques (pas cap). La recommandation officielle porte sur la prise quotidienne de cinq portions de fruits et légumes [1] – une portion étant par convention fixée, peu ou prou, à 80 grammes [2].

Ceci étant dit, la question de la pertinence et de l’étrange précision du slogan reste posée. Pas facile de remonter à la source, mais vous connaissez mon côté saumon sauvage… La valeur cible de 400 grammes/jour apparaît avoir été présentée en 1990 par un groupe d’expert de l’OMS sur la base d’estimations assez générales en termes d’apports nutritionnels permettant d’écarter le risque de carences – et d’un objectif « récemment fixé par le gouvernement chinois » – sans plus de précisions quant aux calculs aboutissant à ce chiffre (voir illustration). Par suite, la valeur a été régulièrement présentée par l’OMS et divers gouvernements comme « fixée par les experts », sans revenir sur sa pertinence.

Une première synthèse d’études qui valide la pertinence de l’estimation

A priori arbitraire, l’estimation s’est pourtant révélée étonnamment pertinente. Ainsi, en juillet 2014, une synthèse d’études publiée dans le British Medical Journal [3] a confirmé l’indéniable bénéfice, en termes de diminution de la mortalité, des cinq portions quotidiennes.

Cette analyse concernait seize études prospectives [4], portant au total sur plus d’un demi-million de personnes, et prenant en compte les autres facteurs susceptibles d’influencer sur la mortalité [5]. Au terme de ce travail, les chercheurs estimaient que chaque portion quotidienne supplémentaire de fruits et de légumes réduirait « d’au moins 2%, et au plus de 8% » [6] le risque de décéder durant une période de temps donnée [7], toutes causes confondues… [8]

Or, les auteurs observaient que les données analysées rendaient compte d’un « seuil de cinq portions de fruits et légumes par jour, au-delà duquel le risque de mortalité toutes causes confondues n’était pas diminué davantage ». Plus précisément : les données permettaient clairement d’établir un bénéfice continu pour chaque portion supplémentaire jusqu’à ce seuil ; en revanche, l’importance des marges d’erreur ne permettait d’identifier aucun bénéfice au-delà [9].

L’analyse leur a par ailleurs permis d’estimer que le risque de mortalité cardiovasculaire (rapport des risques instantanés) diminuait, pour chaque portion supplémentaire de fruits et de légumes, « d’au moins 2% et d’au plus 9% ». Ils soulignaient en revanche que les données analysées ne permettaient pas de conclure à l’influence de la consommation de fruits et de légumes sur le risque de mortalité par cancer [10].

2017 : objectif « 10 fruits et légumes par jour » ?

Iconographie piquée sur le site manger-bouger.fr ; la mention « au moins » voit également son bien-fondé confirmé a posteriori !

Mi-février 2017, une nouvelle méta-analyse d’une centaine d’études relatives aux bénéfices des fruits et légumes a été publiée dans l’International Journal of Epidemiology. Portant sur plusieurs millions d’individus, les données analysées valident les corrélations précédemment établies [11], et viennent dissiper quelques incertitudes.

Au terme de leur travail, les chercheurs estiment que, tous les 200 grammes de fruits et de légumes ingérés quotidiennement (soit deux portions et demi), le risque de décéder durant une période de temps donnée (toutes causes confondues) diminue d’au moins 7%, et d’au plus 13%. La réduction du risque de survenue de maladies cardiovasculaires est confirmée, estimée – toujours par palier de 2,5 portions – entre 5% et 10%. Le volume de données analysées établit pour la première fois une diminution du risque de mortalité par cancer, d’au moins 1% et d’au plus 5%, là encore par palier de 200 grammes [12].

Cette synthèse a en outre révélé que, selon toute vraisemblance, les bénéfices de l’apport quotidien fruits et légumes par jour ne stagnent pas réellement au-delà de 400 grammes (voir illustration ci-contre). « La réduction des risques a été observée jusqu’à 800 grammes (10 portions) par jour [pour la mortalité tout risque confondue comme pour les maladies cardiovasculaires], et à 600 grammes (7,5 portions) pour les cancers », écrivent les chercheurs. Une lecture détaillée de l’étude confirme toutefois l’observation des travaux de 2014, à savoir une inflexion de la diminution du risque après 400 grammes – autrement dit, les bénéfices semblent réels, mais moindres au-delà de ce seuil [13] (les marges d’erreurs restent toutefois conséquentes sur ce tronçon).

Ces observations doivent-elles inciter à réviser sans délai les messages nutritionnels qui accompagnent les publicités pour les aliments et les boissons ? En fixant un objectif trop élevé, le risque serait de décourager ceux qui peinent déjà à atteindre l’objectif des 400 grammes quotidiens, et pourrait suggérer – à tort – qu’aucun bénéfice n’est atteint avant ce seuil. Indéniablement, cinq fruits et légumes par jour sont déjà excellents pour notre santé ! Aussi, n’hésitons pas trop à nous resservir de la salade, ou même de la rhubarbe !

J’en vois deux qui trépignent dans le fond… Est-ce que tout ça démontre la supériorité du régime  « tout végétarien » sur l’option « plein de fruits et légumes dans un régime omnivore » ? Eh bien, j’ai envie de vous répondre pas sûr du tout amis du tofu. J’ai commencé à dépecer les études comparatives sur le sujet, et j’y reviendrai sûrement dans un billet futur. Oui, cela te contraint à revenir sur ce site dans les mois à venir. Sens du teasing, frère, sens du teasing.


Cet incontournable intermède vidéo vous est offert par la présipauté du Groland.

Bon, le conseil est à suivre, mais le suivons-nous ?

En octobre 2007, un peu plus de sept mois après la systématisation des messages d’information nutritionnels du type « pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » pour accompagner les publicités d’aliments et de boissons, l’INPES avait cherché à évaluer le dispositif. L’enquête avait révélé qu’une majorité de sondés (56%) estimait que ces messages ne les avaient pas incités à réfléchir sur leur alimentation. Près de huit sondés sur dix précisaient même « pas changé » leurs habitudes alimentaires [14].

En 2012, une petite étude menée au Royaume-Uni sur une centaine de participants a même suggéré un « effet boomerang » des messages nutritionnels : exposés à des publicités présentant ou non ces informations, deux groupes se voyaient ultérieurement proposer de choisir deux collations, l’une à base d’aliments de bonne qualité nutritionnelle, l’autre à base de sucreries. La seconde option a été « deux fois plus choisie » dans le groupe qui avait visionné les avertissements, ses membres expliquant qu’ils pourraient toujours manger des fruits et des légumes plus tard pour compenser cet écart… Si ces résultats n’ont, à notre connaissance, pas été confirmés par des reproductions ultérieures, l’énoncé de l’expérience doit nous faire garder à l’esprit que recevoir un conseil ne suffit pas : encore faut-il le mettre en pratique…

Ajoutons, pour conclure, que la diversification est sous-entendue dans le slogan : mangez varié, tous les fruits n’incorporant pas les mêmes vitamines et nutriments. Mais ça, c’est ENCORE une autre histoire, que ce blog digressif ne traitera pas aujourd’hui.

Il ne vous reste plus qu’à acheter du fil de laine, pour broder dans un cadre ce désormais incontournable proverbe curiologien sponsorisé par le ministère du ça-serait-bien-que-vous-creviez-moins-vite :

« An apple a day keeps the doctor away but at least five fruits and vegetables a day, but not always the same, is better and, yeah kid, it is not bullshit. »

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