Que peut soigner l’acupuncture ?
Que peut soigner l’acupuncture ?
Après un siècle de rejet, retour en grâce sous Mao
L’acupuncture est une pratique d’origine chinoise dont les principes ont été figés il y a au moins 2000 ans [0]. Elle consiste à planter assez profondément des aiguilles en des points précis du corps (et éventuellement les faire tourner) pour, selon les praticiens, « permettre à de l’énergie de mieux circuler dans l’organisme ».
Sous Mao, avec le besoin de médecins, la pratique est redevenue populaire, alors qu’elle était devenue complétement désuète durant le XIXème siècle, face aux progrès de la dissection [1].
Suite à un reportage sensationnaliste d’un journaliste de New York Times [2], cette médecine orientale qui faisait son come back a piqué (si j’ose dire) la curiosité de nombreux médecins américains, qui sont venus en délégations… et sont repartis avec des aiguilles dans leurs valises.
Une démarche pragmatique à l’égard d’une pratique étrange
Bon nombre de médecins, de retour de République Populaire de Chine, ont lancé des études pour déterminer pour quelles maladies l’acupuncture apparaissait avoir un effet bénéfique.
Ces chercheurs ne se souciaient pas trop du fait que les concepts d’énergie ou de méridiens ne correspondent a priori à rien d’un point de vue physiologique ou biologique. La médecine est en effet très pragmatique : si un effet thérapeutique est identifié (et pas trop d’effets secondaires), elle en tire profit. Les mécanismes sont élucidés après…
Des clients ravis
La majeure partie des 20.000 études menés depuis 45 ans sur l’acupuncture [3] portent justement sur cette question : « le patient se sent-il mieux après une série de séances ? » On le voit, il s’agit plutôt d’enquêtes de satisfaction, de ressenti. Plus de quatre décennies de sondages démontrent clairement que les clients sont satisfaits.
Mais la démarche scientifique n’est pas un concours de popularité… Ces expériences ne déterminent pas vraiment si les patients vont mieux grâce à la thérapie, ou si leur pathologie aurait évolué de façon positive d’elle-même [4].
La première étape pour déterminer si le protocole de soin apporte réellement quelque chose consiste à prendre un grand nombre de malades ; la moitié se voit donner le vrai traitement, l’autre une simulation de ce traitement (ce que l’on nomme familièrement un « traitement placebo »). Ainsi, les deux groupes ont le sentiment d’être prise en charge de la même façon. Si les premiers guérissent mieux, il y est vraisemblable que le protocole thérapeutique apporte un réel bénéfice.
Mais si administrer un faux médicament semble simple [5], créer une « fausse acupuncture » semble a priori difficile. Cependant, les chercheurs ont plus d’un tour dans leur sac…
« Piquez où vous voulez » : une démarche riche d’enseignements
La première technique mise en place pour évaluer l’acupuncture fut celle du « piquez où vous voulez ». En d’autres termes : piquer à côté des fameux « points précis » censés être décisifs pour l’effet de l’acupuncture.
« Piquez où vous voulez », mais pas n’importe où non plus ! Il s’agit de ne pas percer un organe…
La première grosse étude de ce type date de 1975, pour évaluer l’efficacité de cette pratique sur l’arthrose. Beaucoup d’autres ont suivi.
En 2009, une synthèse très méthodique d’études « en simple aveugle » [6] ont amené à considérer un effet « faible, mais existant » de l’acupuncture pour le traitement de la douleur (au moins 8% de supériorité). Pour toutes les autres applications de l’acupuncture, distinguer la pratique traditionnelle de sa simulation apparait impossible.
A noter, cependant, une conclusion importante de ces analyses : l’acupuncture simulée est clairement plus efficace que « pas de prise en charge du tout ». On parle d’une réduction de la douleur d’au moins 23% ! L’insertion d’aiguilles se révèle être un excellent catalyseur de « l’effet placebo ».
L’étonnant « biais géographique » des études réalisées en Asie
Il est important de préciser que les méta-analyses évoquées jusqu’ici ne concernent que des études « occidentales ».
En 1998, une étude est parue dans la revue Controlled Clinical Trials, concernant de nombreuses études cliniques récentes. Selon ces travaux, 53% des recherches menées aux États-Unis sur l’acupuncture suggéraient l’existence d’un effet propre à l’acupuncture ; concernant les études conduites au Canada, ce taux chutait à 23%. Pour l’Australie, il était de 17%.
Mais pour la Chine, Taïwan, le Japon, on obtenait un taux de… 100% de conclusions positives. À cela, plusieurs explications : il y a tout d’abord ce que l’on nomme le biais de publication positive. Les chercheurs ont plus tendance à publier des résultats positifs que des résultats négatifs… et d’autant plus lorsque les études sont menées au sein d’instituts nationaux d’acupuncture. Il y a pas mal de suspicion de partialité de ce côté là.
Un autre élément explicatif pourrait être d’ordre culturel. Lorsqu’on pique “à côté” des gens qui sont habitués à l’acupuncture, ils s’aperçoivent de la supercherie ! En Chine et en Corée, où la pratique est populaire, mener le test en aveugle c’est très difficile.
Pour contourner ces problèmes divers, des chercheurs ont développé deux parades…
Aiguille placebo et acupuncture laser, nouvelles armes de la recherche
Il y a une dizaine d’années, un chercheur nord-américain du nom de Jongbae Park [7] (et acupuncteur de son état) a mis au point un dispositif très ingénieux : des aiguilles télescopiques (qui se rétractent, au lieu de s’enfoncer dans la peau), maintenues par un dispositif adhésif. Avec ces « aiguilles placebo », les chercheurs peuvent ainsi tester des habitués de l’acupuncture.
De toutes les pathologies testées jusqu’à présent, seules deux sont aujourd’hui parvenues à passer ce premier examen impartial et rigoureux : les douleurs chroniques et les maux de dos. Pour toutes les autres, le résultat est clair : le seul effet est celui de la prise en charge. Cet effet est, très clairement, sans aucun lien avec des aiguilles que l’on plante.
Mais il faut ici parler d’une autre méthode de test, particulièrement imaginative : l’utilisation de la stimulation des « points d’acupuncture » par laser, et de sa simulation parfaite, une petite diode LED (qui luit à la surface de la peau, sans interagir avec aucune couche profonde de l’épiderme). Les essais menés en double aveugle démontrent, pour toutes les zones testées, l’impossible distinction entre acupuncture et placebo, y compris dans le cas des douleurs chroniques et des maux de dos.
Douleurs chroniques et maux de dos : l’inflammation salutaire ?
Le pouvoir des aiguilles dans le traitement des deux pathologies « rescapées » des tests « aiguilles contre placebos télescopiques » a peut-être trouvé un début d’explication, en 2010, au travers publiée d’une étude dans Nature Neuroscience. Ces travaux, réalisés chez la souris, montrent que quand on pique la peau avec des aiguilles, il y a une réaction inflammatoire légère, qui s’accompagne de la sécrétion de peptides et d’opioïdes (minimisant la douleur associée à cette petite agression). Il est donc plausible que ce soit cette sécrétion d’opioïdes qui entraîne le bénéfice enregistré dans les expériences. Celui-ci n’a rien à voir avec de quelconques méridiens.
Si ce phénomène était confirmé [8], il pourrait être mis à profit cliniquement sans imposer au patient tout un folklore pseudo-médical qui instille de fausses représentations de la physiologie, réduisant ses chances ultérieures de prendre des décisions thérapeutiques réellement éclairées.
[0] (M-À-J mars 2018) Insistons sur le fait que l’ancienneté d’une pratique n’est jamais une preuve, en soi, de sa validité. Ceci étant, quand je dis que les principes ont été figés il y a 2000 ans, il faut prendre cette affirmation avec certaines pincettes : on parle des principes (essentiellement la localisation des méridiens à solliciter lors d’une intervention), mais pas nécessairement de la pratique (l’usage systématique d’aiguilles). Pour l’histoire des principes généraux, me suis notamment référé à : Paul Unschuld, « Medicine in China : A History of Ideas » (1985) et à W.M. Cochran, « Points in time: Some reflections upon the origins of acupuncture » (2002) : il semble y avoir a des mentions de pratiques à l’aiguille dans le Shiji, donc avant le premier siècle de notre ère. Quand au Huangdi Neijing et ses principaux commentaires, qui dateraient d’avant le IIIe siècle de notre ère, il uniformise beaucoup de principes assimilables à l’acupuncture. Ceci étant dit, le fait que des aiguilles aient pu être utilisées il y a 2000 ans ne signifie pas nécessairement qu’il s’agissait là de la norme pour les siècles ultérieurs.
[1] Sur l’histoire de l’acupuncture, se référer à l’indispensable ouvrage d’Edzard Ernst et Simon Singh, Trick or treatment, publié en 2008. La traduction française est parue en 2014 aux éditions Cassini sous le titre Médecines douces, info ou intox. L’analyse qui est faite de cette pratique à visée médicale pourra toutefois paraître un peu datée (les données présentées ont déjà une dizaine d’années). A l’occasion de la parution de la version française, j’ai eu le plaisir d’interviewer Edzard Ernst pour le Magazine de la Santé (France 5) ; une transcription de notre échange est disponible ici.
[2] Tombé malade lors d’une visite officielle d’Henry Kissinger sur le territoire chinois en 1971, ce reporter semble avoir été l’instrument d’une jolie campagne de désinformation médicale (et politique) de la part des autorités. L’affaire est détaillée dans le livre cité dans la note précédente.
[3] En 2015, selon la base de données PubMed, il y a eu près de 1.500 comptes rendus d’études publiés sur l’acupuncture.
[4] Le sujet a déjà été évoqué dans le billet sur la définition de l’effet placebo : si l’on prend toutes les fois où on tombe malade dans une année, la plupart du temps, la maladie évolue de façon positive, quand bien même on ne prendrait pas de traitement. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que les médicaments n’accélèrent pas le processus de guérison. Toutefois, pour savoir si c’est le « traitement » qui vous a guéri ou simplement le temps, il faut impérativement comparer les deux…
[5] Cette précaution n’est malheureusement pas prise par de très nombreux chercheurs. Les études comparant un traitement « A » + un traitement « B » avec le seul traitement « A », bien que fréquemment mise en œuvre, n’apportent que très peu d’informations réellement exploitables. De tels travaux sont pourtant très fréquemment relayés dans la presse. Le professeur Ernst, toujours lui, dénonce fréquemment sur son blog les pseudo-essais cliniques basés sur cette « méthode ».
[6] Dans ces études, les médecins qui piquent au mauvais endroit savent qu’ils prodiguent de faux traitements « pour des tests ». Une analyse publiée en 1995 dans le Journal of the American Medical Association, confirmée par des méta-analyses ultérieures (notamment Systematic reviews in health care. Assessing the quality of controlled clinical trials. P. Jüni et coll. BMJ, 2001), a montré que lorsque un médecin sait « qui il traite vraiment », les résultats des essais cliniques sont systématiquement réévalués, de l’ordre de 15-20%, en faveur du traitement. Des méta-analyses ultérieures ont confirmé cette estimation initiale . Le comportement du médecin influe sur le ressenti du patient, d’où la nécessité d’études en « double aveugle ». Sur ce sujet, lire aussi :
- Double aveugle et protocole ouvert : résultats différents ? P. Chevalier. Formation médicale continue, outils et concepts d’Evidence Based Medicine. Minerva, vol. 11, 2012. [pdf]
- The Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias in randomised trials. The Cochrane Collaboration. BMJ 2011. doi: 10.1136/bmj.d5928
[7] Fort sympathique, il m’a d’ailleurs été d’une aide précieuse pour préparer ce dossier. Thank you !
[8] Piste complémentaire : des travaux de 2010 montrent que, si les effets thérapeutiques de la « vraie acupuncture » et de l’acupuncture simulée sont analogues chez les patients « confiants dans la pratique », la stimulation par de vraies aiguilles accroit l’activité cérébrale dans des zones cérébrales « liées à la gestion de la douleur ».
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