Estimer l’efficacité d’une couverture vaccinale

NOTE IMPORTANTE : nous n’aborderons pas dans CE billet (ni, conséquemment, vous-même dans les commentaires associés…) les passionnants débats philosophiques que d’aucuns résumeraient tantôt par « pourquoi s’encombrer d’un parapluie si d’autres l’ouvrent au-dessus de ma tête ? », « il ne pleut plus je brûle mon parapluie », « à quoi ça sert d’avoir un parapluie si on a parfois les pieds éclaboussés », « les poignées de parapluie font parfois mal aux mains » ou encore « les parapluies n’ont jamais protégé de la pluie, c’est le chant des grenouilles qui fait le job ». Merci de votre attention.

Une version raccourcie de cet article, recentrée sur le concept de taux de reproduction de la maladie, a été mise en ligne sur ce blog en mars 2020.

Pour qu’une maladie se propage, elle doit avoir des relais. Selon le pouvoir infectieux d’un agent pathogène, chaque porteur transmettra la maladie à un nombre variable de personnes saines, qui elles-mêmes participeront à l’épidémie.

La logique du déploiement d’une couverture vaccinale est la suivante : chaque relai potentiel, rendu plus ou moins résistant à la maladie, constitue un frein, voire une barrière, entre les sujets déjà atteints et les sujets sains. Petit à petit, l’agent infectieux qui pouvait se déployer librement rencontre de nouveaux murs. La distance qui le sépare de ses cibles potentielles croit progressivement, s’épuisant tôt ou tard dans le labyrinthe construit par les personnes vaccinées.

Trois paramètres

Toutes les maladies ne se ressemblent pas. Les virologues les classent habituellement selon leur « taux de reproduction« , qui caractérise le potentiel épidémique.

Dans les modes de calculs les plus simples, ce taux de reproduction dépend de trois paramètres.

Premièrement, la période durant laquelle la maladie est contagieuse. Le temps d’incubation dans l’organisme avant que la contagion soit possible varie d’une situation à l’autre, de même que le temps au bout duquel cette capacité de transmission reste effective. Dans certains cas, cette contagiosité se mesure en heures ; dans d’autres, elle peut couvrir la durée de vie des personnes infectées…

Deuxième élément à prendre en compte, le nombre de contacts sociaux, par heure, par jour ou par semaine. Il faut souvent identifier le mode de transmission privilégié de chaque maladie pour affiner le calcul : alors que les virus de la gastro-entérite peuvent transiter grâce au geste banal d’une poignée de mains, d’autres ne pourront se propager qu’au moyen d’échanges de fluides corporels.

Le dernier paramètre tient compte des modes de vies et des comportements des populations, notamment en termes d’hygiène. Cette « probabilité de transmission » consiste en fait dans la proportion de la population qui n’assure pas efficacement sa propre protection, à des degrés divers. Dans certains cas, le port de masques, de gants, ou le fait de se laver les mains intègre la liste des comportements « efficaces ». Le geste vaccinal, lorsqu’il est possible, entre également dans l’équation.

Course de relais

La multiplication de ces trois facteurs — durée de contagiosité, fréquence de contacts sociaux, proportion de personnes non protégées — définit le taux de reproduction de la maladie. Un petit chiffre qui correspond, tout simplement, au nombre de personnes qu’une personne infectée est susceptible de contaminer.

Si le nombre de personnes que chaque malade peut infecter est supérieur à un, la maladie se déploie rapidement. Tout se passe comme si, dans une course de relais, chacun passerait non pas le témoin à une seule personne, mais à plusieurs, chacune transmettant à son tour l’infection à d’autres individus… Si la maladie est bénigne et guérit rapidement, l’épidémie, bien qu’étendue, cesse rapidement : les milliers de copies du premier « bâton témoin » de la course de relais disparaissent peu à peu. Mais la durée de contagiosité et la dangerosité de la maladie sont d’autres fois – c’est le cas du choléra – bien plus importantes.

Considérons maintenant que le taux de contagion de la maladie soit inférieur à un. Cela signifie que le bâton de relais n’est pas transmis par chaque coureur à une nouvelle personne. À chaque étape du relais, de moins en moins de bâtons sont transmis et la maladie… disparaît.

Le « taux de reproduction » permet donc d’évaluer immédiatement le nombre de personnes à vacciner. Plus celui-ci est important, plus il faut d’acteurs pour « faire barrage » à la maladie.

Un modèle affiné selon chaque maladie

Le modèle décrit ci-dessus reste très sommaire, et peut être affiné, en intégrant notamment l’efficacité estimée du vaccin dans l’équation. Le taux ainsi modifié est nommé « taux de reproduction effectif » (Xe).

En 2013, des virologues de l’Université de Floride avaient ainsi jugé que la faible efficacité des vaccins existants contre le choléra (estimée autour de 50%) n’était pas rédhibitoire dans la lutte contre la propagation de la maladie en Haïti. Leurs calculs établissaient qu’utiliser ces vaccins « sur 46% de la population » entraînerait la disparition de la maladie.

Si chaque mur du labyrinthe dressé contre la maladie n’est pas imperméable « à tout coup », leur multiplication accroît tout de même la distance qui la sépare de sujets sains.

Le cas du choléra correspond à une situation où la durée de contagiosité de la maladie est importante. Néanmoins, une fois la propagation suffisamment ralentie, les traitements éventuels auraient le temps d’être administrés. La maladie progresse moins vite qu’elle n’est soignée. Et dès lors que suffisamment de sujets cessent d’être contagieux (et même s’ils ne sont pas guéris), la maladie commence à disparaître.

Les virologues sont très attentifs aux nombreux paramètres (âge, sexe, etc.) qui influent le calcul, autrement simple, du taux de reproduction de la maladie. En 2005, des scientifiques qui étudiaient la dengue au Brésil ont ainsi transformé l’équation en questionnant très précisément le comportement des moustiques, vecteurs de l’infection.

L’étude de 2013 s’appuyait sur une modélisation très fine des comportements de la population et du potentiel protecteur des différents vaccins à disposition. Malgré l’importante contagiosité du choléra, son taux de reproduction actuel peut être considéré comme suffisamment faible pour qu’une campagne de vaccination réduite puisse venir à bout de l’épidémie.

@curiolog

Ce billet est une version mise à jour d’un article rédigé en janvier 2013 pour le site du Magazine de la santé.

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Ressources complémentaires

Outils de vulgarisation

  • Simulateur des effets de l' »immunité de groupe » (en anglais) : How herd immunity works, sur la page du laboratoire de Recherche sur les systèmes complexe de l’Université d’Humboldt. (déniché par l’ami @Looping_ !)
    La page renvoie à des travaux de 2017 suggérant que les outils de vulgarisation interactif sur l’immunité de groupe pourraient avoir un effet positif sur les intentions vaccinales des sujets étudiés.

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