Pandémie : comment calcule-t-on le « taux de reproduction » d’une maladie ?

Ce billet est une version raccourcie… puis revue et augmentée (!) d’un billet publié en janvier 2017 sur ce blog, qui abordait la question de la vaccination. Cette version à été élaborée afin de répondre à vos questions, suite au partage de l’article original sur les réseaux sociaux, en pleine épidémie covid-19.

Pour qu’une maladie se propage, elle doit avoir des relais. Selon le pouvoir infectieux d’un agent pathogène, chaque porteur transmettra la maladie à un nombre variable de personnes saines, qui elles-mêmes participeront à l’épidémie.

Toutes les maladies ne se ressemblent pas. Parmi les critères utilisés pour les étudier, les épidémiologistes s’intéressent fréquemment à leur « taux de reproduction« , qui caractérise leur potentiel épidémique.

Trois paramètres

Dans les modes de calculs les plus simples, ce taux de reproduction dépend de trois paramètres.

Premièrement, la période durant laquelle la maladie est contagieuse. Le temps d’incubation dans l’organisme avant que la contagion soit possible varie d’une situation à l’autre, de même que le temps au bout duquel cette capacité de transmission reste effective. Certaines maladies sont contagieuses avant l’apparition des symptômes (voir plus bas). Dans certains cas, la contagiosité se mesure en heures ; dans d’autres, elle peut couvrir la durée de vie des personnes infectées…

Deuxième élément à prendre en compte, le nombre de contacts sociaux, par heure, par jour ou par semaine. Il faut souvent identifier le mode de transmission privilégié de chaque maladie pour affiner le calcul : alors que les virus de la gastro-entérite peuvent transiter grâce au geste banal d’une poignée de mains, d’autres ne pourront se propager qu’au moyen d’échanges de fluides corporels. L’instauration d’un confinement des citoyens, en période pandémique, vise notamment à diminuer la valeur de cette variable (avec pour effet d’étaler dans le temps le nombre de nouveaux cas, et ainsi éviter la saturation des hôpitaux.

Le dernier paramètre tient compte des modes de vies et des comportements des populations, notamment en termes d’hygiène. Cette « probabilité de transmission » consiste en fait dans la proportion de la population qui n’assure pas (ou ne peut pas assurer) efficacement sa propre protection, à des degrés divers (proportion de la population « insuffisamment protégée », et donc susceptible d’être infectée). Dans certains cas, le port de masques, de gants, ou le fait de se laver les mains intègre la liste des comportements « efficaces » qui influent sur cette probabilité de transmission. Le geste vaccinal, lorsqu’il est possible, peut également intégrer cette partie de l’équation (on parle alors de « taux de reproduction effectif » de la maladie, voir plus bas).

La multiplication de ces trois facteurs — durée de contagiosité, fréquence de contacts sociaux, proportion de personnes non protégées — définit le taux de reproduction de la maladie. Un petit chiffre qui correspond, tout simplement, au nombre de personnes qu’une personne infectée est susceptible de contaminer.

Petit point de vocabulaire, en passant : lorsqu’aucune disposition particulière n’est prise contre une maladie, on parle d’un « taux de reproduction de base » (ou «R0»). Dès lors que des stratégies sont mises en place pour limiter sa propagation (hygiène, port de masque, distanciation sociale, vaccin…), on parle d’un «taux de reproduction effectif» (R ou Re).

Course de relais

Si le nombre de personnes que chaque malade peut infecter est supérieur à un, la maladie se déploie rapidement.

Tout se passe comme si, dans une course de relais, chacun passerait non pas le témoin à une seule personne, mais à plusieurs, chacune transmettant à son tour l’infection à d’autres individus… Si la maladie est bénigne et guérit rapidement, l’épidémie, bien qu’étendue, cesse rapidement : les milliers de copies du premier « bâton témoin » de la course de relais disparaissent peu à peu. Mais la durée de contagiosité et la dangerosité de la maladie sont d’autres fois – c’est le cas du choléra – bien plus importantes.

Considérons maintenant que le taux de contagion de la maladie soit inférieur à un. Cela signifie que le bâton de relais n’est pas transmis par chaque coureur à une nouvelle personne. À chaque étape du relais, de moins en moins de bâtons sont transmis et la maladie… disparaît.

Connaître le « taux de reproduction » de base permet notamment d’estimer le nombre de personnes à vacciner. Plus celui-ci est important, plus il faut d’acteurs pour « faire barrage » à la maladie.

Comme on l’a dit, le taux ainsi modifié est nommé « taux de reproduction effectif » (R ou Re).

Deux maladies avec le même R0 peuvent ne pas faire les mêmes dégâts…

La durée de contagiosité peut inclure une partie de la phase dite « pré-symptomatique » (on transmet la maladie alors qu’on n’a pas encore développé ses symptômes). Les maladies qui ne sont contagieuses que durant la phase symptomatique peuvent théoriquement être endiguées plus efficacement, en mettant en quarantaine les malades dès l’apparition des symptômes (réduction drastique de la fréquence de contacts sociaux des seuls malades). Pour éviter la propagation d’une maladie même légèrement contagieuse en phase pré-symptomatique (comme c’est le cas avec le covid-19) des mesures plus drastiques encore peuvent s’imposer (réduction de la fréquence de contacts sociaux de l’ensemble d’une population, par exemple par une stratégie de confinement).

[ajout du 27 avril] Comme le note mon confrère Luc Peillon, au début de l’épidémie de SARS en 2002-2003, le R0 était voisin de celui de la covid-19. L’isolement des malades du SARS a rapidement fait chuter le « R ». En 2019-2020, le retard dans la mobilisation de leviers liés à la fréquence des contacts sociaux a maintenu le « R » de la covid-19 a un niveau important durant de long mois.

Attention : le « R » est une moyenne

Le « R » d’une maladie peut varier dans le temps (notamment avec le déploiement des mesures sanitaires), mais également d’un groupe de personnes à un autre. Les épidémiologistes n’oublient jamais que le « R » est une moyenne, et que le potentiel de contamination réel d’une maladie peut varier selon les individus.

Des enfants qui multiplient les interactions physiques dans la cour d’école propagent plus fortement la grippe que des personnes en télétravail.

Des variabilités individuelles plus profondes peuvent également exister au sein de groupes apparemment uniformes. En effet, certaines maladies entraînent de symptômes plus ou moins importants chez des personnes de même âge et de même sexe.

On peut imaginer un scénario dans lequel, en moyenne, sur dix malades, neuf personnes auraient un « R » égal à 0,8 et un « super-infecteur » aurait un « R » de 9,8. Le « R » de la maladie, à l’échelle de la population générale, serait de 1,7. Mais une action de santé publique se concentrant exclusivement sur les super-infecteurs permettrait d’endiguer l’épidémie.

La question des super-infecteurs est loin d’être exclusivement théorique. La question a été particulièrement soulevée suite à l’épidémie de SRAS en 2002-2003, et a donné lieu à plusieurs publications scientifiques d’intérêt [1].

Attention : les fluctuations du « R » ne signifient pas forcément ce que vous croyez…

Pour estimer le « R », les épidémiologistes utilisent souvent la technique suivante : sur un territoire donné, ils relèvent chaque jour le nombre de nouveaux cas diagnostiqués. En tenant compte du temps d’incubation de la maladie, ils peuvent extrapoler le taux de reproduction de la maladie. Mais cette méthode peut être trompeuse, notamment si l’on se met soudain à dépister un grand nombre de personnes, potentiellement porteuses de formes peu symptomatiques de la maladie, ou encore des personnes qui arrivent sur le territoire considéré. Dans le premier cas, les valeurs de « R » vont s’élever ponctuellement, sans garantie que les personnes contaminées soient très contagieux ; dans le second cas, le « R » va s’élever alors que personne, sur le territoire, n’a contaminé ces nouveaux diagnostiqués…

Les fluctuations de R sont particulièrement trompeuses dans un territoire où la maladie est rare : chaque nouveau cas fait « exploser » le R, même si la maladie est très bien contenue et les nouveaux cas très surveillés.

@curiolog

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Ressources complémentaires centrées sur la notion de taux de réplication
Notes et références
[1] Voir par exemple :

  • R.A. Stein, « Super-spreaders in infectious diseasesAuthor links open overlay panel », International Journal of Infectious Diseases, 2011. 15(8), pp. e510-e513 doi:10.1016/j.ijid.2010.06.020
  • A.P. Galvani & R. May, « Epidemiology: Dimensions of superspreading », Nature, 2005. n°438(7066), pp. 293-295
  • Floyd-Smith et al, « Superspreading and the effect of individual variation on disease emergence », Nature, 2005. n°438(7066), pp. 355-359
  • Z. Shen et al. « Superspreading events, Beijing, 2003. « Emerging Infectious Diseases. Vol. 10, No. 2. Feb. 2004. pp. 256–260

2 réflexions sur “Pandémie : comment calcule-t-on le « taux de reproduction » d’une maladie ?

  • 21 février 2021 à 9 h 41 min
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    Très documenté et pédagogique,pour un sujet compliqué.Bien que la définition du Re,complexe et fluctuante dans le temps et dans l’espace et,de plus selon le comportement de chacun,soit si difficile à cerner tout au long de cette pandémie:car peut -on parler de pandémie à l’heure actuelle? En pratique: pourquoi ce Re reste-t-il autour de 1 depuis septembre 2020:le début de la 2eme vague épidémique annonçait une catastrophe 10 fois plus forte qu’ au printemps dernier! 6mois après nous retrouvons bien la base exponentielle redoutée dix fois plus forte dans sa durée,mais non son pic qui s’est transformé en plateau?

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    • 22 février 2021 à 10 h 51 min
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      On peut supposer que les mesures successives destinées à influer sur le Re sont insuffisantes…

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