La saison de l’escroquerie dangereuse est de retour

Je retranscris ici un « thread » que j’ai publié ce matin sur Twitter (puis Facebook), concernant un p****n de scandale [1], résumé par une photo prise dans une rue de Paris par une participante des Heures curieuZes/ Rencontre Zét.

Question posée à l’Ordre national des pharmaciens : mentir, escroquer et mettre en danger les gens de la sorte n’est-il pas passible de radiation ?

Erratum. Il faut bien sûr lire : « Ceci n’est pas une pharmacie. Nous sommes là pour prendre soin de votre pognon, pas de votre santé ».
Petit rappel de ce que disait l’ANSM, en 2016, concernant les produits évoqués à la troisième ligne de l’affichette :

« ces médicaments homéopathiques ne peuvent être considérés comme des vaccins et se prévaloir de la désignation de « vaccins homéopathiques ». […] Leur utilisation à la place du vaccin anti-grippal constitue une perte de chance, notamment chez les personnes à risque de complications ».

Le Haut Conseil de Santé Public disait la même chose quelques années plus tôt.

Suite au vigoureux rappel de l’ANSM de 2016, j’avais rédigé un petit billet pour le site du Mag de la santé. Je pensais sincèrement le dossier clos…

Comme il n’en est rien, je vous-en remets une couche.

Se croire vacciné
Soyons clairs : bien qu’employé par certains pharmaciens sans scrupule pour faciliter la vente de spécialités comme « Influenzinum », le terme « vaccin homéopathique » frise tellement la publicité mensongère qu’il fait de grosses grosses boucles.
Ces machins n’entraînent la production d’aucun anticorps liés de près ou de loin à la grippe ou à une maladie à « états grippaux », et n’ont jamais démontré réduire en quoi que ce soit la probabilité de contracter la grippe. [2]

Or, chaque hiver, la grippe saisonnière touche des millions de personnes en France et provoque des milliers de décès, notamment chez les personnes âgées de plus de 65 ans. L’efficacité de la stratégie vaccinale – la vraie – dépend à la fois de l’efficacité du vaccin [3] et du taux de la couverture vaccinale.

Se croire protéger alors qu’on ne l’est pas, c’est prendre des risques pour soi, et mettre en danger les autres (ta mamie à qui tu vas faire la bise, mais aussi les nourrissons ou les immunodéprimés qui ne peuvent pas se faire vacciner…).

Faire croire à des gens qu’ils sont protégés, c’est – je pèse mes mots – de l’inconscience criminelle.

Code de déonto-LOL-gie
L’Article R.4235-69 du Code de déontologie des pharmaciens (au moins dans sa version 2017) stipule de son côté que :
« le pharmacien responsable est tenu de veiller à l’exactitude de l’information scientifique, médicale et pharmaceutique et de la publicité, ainsi qu’à la loyauté de leur utilisation. (…) Il s’assure que la publicité faite à l’égard des médicaments est réalisée de façon objective et qu’elle n’est pas trompeuse. »
Je n’ai pas vérifié si le code de déontologie actualisé intègre, comme cela avait été proposé (article R.4235-28), le fait que
« le pharmacien contribue à la lutte contre le charlatanisme, notamment en s’absentant d’offrir ou de réaliser des prestations ayant ce caractère (…) et en s’abstenant de fabriquer, utiliser, distribuer ou vendre tous objets ou produits ayant ce caractère. »

Si ce n’est pas le cas, faudrait y songer. Si c’est le cas, je vous suggère de l’imprimer en six exemplaires A3, et de le faire bouffer à ces pharm… je veux dire à ces marchands de vide (qui, de surcroit, font du tort à toute la frange de la profession qui se forme et informe sur les bénéfices réels, les risques réels, les interactions potentielles réelles, de ce qu’ils proposent à la vente).

 

Le Grand Sucrier vous parle
Cerise sur le gâteau de la blague ? Le labo qui vend le sucre au prix de l’or, pour ne pas être accusé d’être le principal contributeur de la désinformation criminelle qu’il alimente, a envoyé cette année une lettre aux pharmacies qui écoulent ses produits :
Plusieurs professionnels de santé ont diffusé une copie de cette lettre sur les réseaux sociaux. Sauf erreur, j’ai piqué celle-ci à @thibaultdebe.

Oui : même les labos qui murmurent à l’oreille de ces pharmaciens (mésinformés dans leur cursus, et devenus complices de l’arnaque – complices très bien récompensés, faut dire que ça paye, le sucre) les préviennent de ne pas vendre « ça » sous cet intitulé.

Bref. Sachez donc qu’une pharmacie qui affiche « le vaccin homéopathique est arrivé », c’est au moins un salarié de cette pharmacie… comment dire ça de façon calme, sobre, et mesurée… ah oui : au moins un salarié de cette pharmacie qui se torche avec la déontologie, ne pense qu’à votre portefeuille, et sera forcément de très mauvais conseil le jour où vous irez mal.

 

Que faire si vous voyez une telle affichette ?

Si vous croisez un tel panonceau dans votre quartier ou votre village, vous pouvez soit considérer qu’il s’agit d’un « faux-pas », d’une erreur d’un salarié distrait qui aurait conservé de mauvaises habitudes du temps lointain (non) où l’on fermait les yeux sur ces allégations dangereuses ;

Vous pouvez aussi aller leur dire votre façon de penser. Vous pouvez également imprimer les trois documents ANSM/HCSP/Boiron mis en lien plus haut dans ce billet, pour leur demander pourquoi ils ignorent sciemment ces différents appels. (Au passage, c’est super rassurant pour vous hein, ces « professionnels de santé » qui ne lisent pas les alertes de l’ANSM… [4]).

Faites également savoir votre façon de penser aux gens que vous connaissez dans le quartier. Et, si les explications données ne vous conviennent pas, et si vous avez une alternative (ce que je vous souhaite de tout mon cœur), ne refoutez plus jamais les pieds chez…

…hum…

…allez, je vous laisse le choix dans les termes :

(a) ces personnes en total déni de sciences, que l’on pourra (avec mansuétude, bienveillance et dépit) considérer comme victimes d’un système qui leur a laissé croire qu’ils se formaient à une spécialité médicale alors qu’on leur apprenait à classer le sucre en fonction de principes empruntés aux archives de Poudlard [5] ;

(b) de tels salopards [1],[6].

Notez enfin que l’Ordre des pharmaciens invite à signaler ces dérives qui mettent en danger la santé publique. Allez savoir ce que deviennent ces signalements, et combien de temps les (a) ou (b) continueront de sévir à nos dépends.

Bref !

Concluons sur le fait que je pense peu ou prou la même chose de ceux qui mettent en vitrine des publicités pour d‘autres anti-états grippaux tout aussi scandaleusement pipologiques… Bref, je vous souhaites un bon automne et un bel hiver ! Gardez la santé, et l’esprit critique 🙂 !

Amitiés de saison,

@curiolog

Le 16 novembre, l’ami EBBH (dont je vous ai déjà parlé il y a quelques billets) a publié ce petit strip dans sa série « En résumé, c’est comme ça ». Vous pouvez bien sûr l’imprimer, et l’offrir à votre pharmacien préféré…

Post scriptum :

Vu sur Twitter les jours suivant de la publication de ce billet.
La saison va être longue…

Notes

[1] Votre langage, jeune homme.

[2] Rappel : « l’autorisation de mise sur le marché octroyée aux médicaments homéopathiques ne nécessite pas l’existence de preuves scientifiquement établies, l’existence d’une tradition homéopathique étant suffisante » (ANSM) Une surprenante exception au code de la santé publique qui permet aux fabricants de commercialiser des produits sans jamais à avoir eu à produire la preuve d’une efficacité supérieure à celle d’une substance neutre (placebo) délivrée dans les mêmes conditions. Ce n’est pourtant pas faute d’études scientifiques rigoureuses menées autour du globe sur cette question. Celles-ci concluent en réalité que les risques d’apparition des maladies, la durée ou l’intensité des symptômes, ne sont pas différents si la substance administrée (dans les mêmes conditions) est une prescription homéopathique ou un simulacre de traitement. L’efficacité perçue est la même dans les deux cas, celle-ci pouvant s’expliquer par les changements de comportements des personnes qui cherchent à se prémunir des affections hivernales.

[3] Dans mon article pour le Magazine de la santé, je rappelais qu’aujourd’hui, aucun traitement préventif ne garantit à 100% de ne pas contracter la grippe. Toutefois, certains réduisent significativement ce risque : les vaccins. En France, trois vaccins grippaux inactivés sont commercialisés et pris en charge par l’Assurance maladie (Influvac®, Immugrip® et Vaxigrip®). D’efficacité variable d’une année sur l’autre, car formulés plusieurs trimestres auparavant sur la base d’une prévision des souches de virus qui seront en circulation, ces vaccins réduisent dans tous les cas la probabilité d’infection.

Notez que lorsque les agences sanitaires annoncent que « le vaccin a été efficace à 50% », cela signifie que sur un échantillon comparable de personnes vaccinées et non-vaccinées, le premier groupe est tombé moitié moins malade que le second.

[4] Vous savez, ce genre de documents où on annonce dès mars 2017 qu’il va probablement y avoir un problème avec le Lévothyrox

[5] [edit du 6/10] C’est l’hypothèse que je développe dans SSDOTG : nul doute qu’un jeune tout frais sorti du Bac qui hésite entre divers cursus et spécialités, « pour aider les gens à aller bien », et qui « sait bien que [insert pipologie here] marche, parce que tout le monde sait bien que ça marche, sinon cela ne serait pas enseigné », que ce jeune serait ravi, donc, d’être mis en garde contre les pipologies dangereuses ; après six ans, huit ans d’études, des dizaines années de pratiques, la remise en question est on ne peut plus difficile… Tant de temps et d’argent dépensé pour rien… Et tant de gens qui ont l’air « satisfaits »…

[6] [edit du 6/10] « Salopards »… Pas sûr, bien sûr, que tout le monde soit à blâmer dans ces officines. La malveillance collective est une hypothèse coûteuse, et certains privilégieront celle d’une inconscience dangereuse. On peut, il est vrai, imaginer qu’une personne x ou y, dans la hiérarchie des salariés de ces pharmacies, ait imposé cette affichette, contre la volonté desdits employés. On peut aisément imaginer des frondes internes, des levées de boucliers, qui n’aboutissent à rien, dans ces pharmacies ; imaginer que certaines personnes sont indignées en interne : je peux même imaginer un scénario dans lequel une telle affichette est apposée-là pour attirer les gens pour leur dire « Ha ! Ha ! On vous a bien eu ! l’homéopathie en vaccin, c’est du flan, même Boiron proscrit le terme ! »… Tout cela étant considéré, il reste l’essentiel : une telle affichette contrevient aux préconisations de santé publique mentionnées dans cet article. « Salopard », ou « auteur d’un manquement manifeste et grave à la déontologie, et aux devoirs du pharmacien, avec des risques pour la santé publique », faites votre choix (j’ai sincèrement du mal à distinguer les deux). On peut discuter la virulence du terme, mais il me semble que le vrai débat est ailleurs. A savoir : comment peut-on continuer à faire de telles allégations mensongères, en 2018 ?

6 réflexions sur “La saison de l’escroquerie dangereuse est de retour

  • 5 octobre 2018 à 14 h 45 min
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    Il y a 6 mois, dans la pharmacie que je fréquente, dialogue avec une pharmacienne :

    – Sinon, ce qui marche bien contre les allergies, c’est l’homéo en complément du traitement
    – Non, merci, ne me parlez pas d’homéopathie s’il vous plait
    – C’est quand même plus naturel, vous ne voulez que du chimique, vous ?

    Après ce combo « appel à la nature » et « opposition chimique/naturel », il m’a fallu plusieurs heures pour que mon cœur arrête d’imiter Nicko McBrain et six mois après la pilule ne passe toujours pas…

    J’ai été « soigné » contre mes allergies pendant 3 ans avec de l’homéopathie, alors qu’aujourd’hui les allergologues que je consultent me disent qu’il est important de prendre certaines précautions le plus tôt possible.

    De plus, à l’époque, les flacons n’étaient pas aussi simples à manipuler et obtenir 5 granules sans les toucher (si tu les touches ils ne seront plus efficaces !) était alors un exercice particulièrement stressant pour un enfant de 6 ans. Depuis que j’ai appris que c’est du simple sucre et du charlatanisme, je hais tous les homéopathes (et pharmaciens complices) pour ce que leur bêtise dogmatique engendre, le discrédit de la médecine, la fin de la confiance envers les pharmaciens,…

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  • 5 octobre 2018 à 15 h 00 min
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    Ce n’est pas nouveau. En fait, c’est Boiron qui organisait ça avant mais depuis ils se sont fait prendre la main dans le sac.
    Sinon, il faut faire comme moi : porter plainte – Ile-de-France. Direction régionale des affaires sanitaires et sociales. Inspection régionale de la pharmacie
    Ca a salement calmé l’escroc qui est installé près de chez moi. Ii faut dire que c’était un récidiviste.
    L’engueulade, si elle fait du bien, ne sert à rien. Ils font semblant de ne pas comprendre même quand on leur dit que c’est de la mise en danger de la vie d’autruit.

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  • 13 octobre 2018 à 21 h 29 min
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    On peut voir aussi voir le problème sous un autre angle : l’homéopathie ne fait rien de plus que le placébo, c’est un fait, mais d’un autre côté son usage, même abusif, ne présente guère de risques, alors que la mauvaise utilisation de vrais médicaments avec de vraies molécules actives peut être autrement plus dangereuse. Ce serait plutôt sont utilisation au détriment de vrais médicaments qui est néfaste. Ce serait aussi une des raisons pourquoi les placébos sont toujours remboursés par la Sécu, pour éviter l’usage abusif (et potentiellement dangereux) de molécules actives (j’ai entendu le dire de mon père médecin, c’est à vérifier, mais cela n’aurait rien d’illogique en fin de compte).

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    • 14 octobre 2018 à 10 h 08 min
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      C’est le sujet d’un long billet qui était prévu pour… novembre 2016 (et mis de côté pour mener à bien le projet #SSDOTG). Je vais exhumer la chose pour que nous puissions en débattre autour d’une pinte lors d’une prochaine RZ ^^ !

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  • 12 novembre 2018 à 20 h 39 min
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    Bonjour,

    Pour rebondir sur cette actualité saisonnière et énervante, ma chère épouse travaille pour une enseigne de grande distribution que ne nommerai pas (Indice : Edouard fume le cigare :D). Tous les ans, sa direction (je ne sais pas si c’est une pratique nationale) propose aux employés le vaccin gratuit. Cette année, ils ont eu le choix… Entre le vaccin et l’homéopathie. Avec un franc succès pour la deuxième, j’ai le regret de le dire.

    Ceci dit, on ne saurait trop insister sur l’information. Combien de fois ai-je entendu, lorsque je critiquais l’homéopathie « Mais c’est bien, c’est à base de plantes… », et ce de la part de gens très cultivés et informés par ailleurs. Cette pratique profite aussi d’une certaine confusion avec la naturopathie, la phytothérapie, etc (Quoi qu’on pense de celle-ci par ailleurs. On a au moins des chances d’avoir un principe actif…) Alors j’explique ce qu’est exactement l’homéopathie. Ça ne fait pas forcément changer les gens d’avis mais au moins ils savent de quoi il retourne.

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