Électrophobie : les antennes rendent-elles malade ?

Cet article est dérivé du texte de ma toute première chronique « état des connaissances scientifiques » proposée au Magazine de la santé en septembre 2015. Bien qu’ancrée dans un contexte médiatique particulier (voir fin du dossier), la pertinence des informations présentées n’a pas fondamentalement changé…

Des souffrances incontestables

Les personnes qui se décrivent comme « électro-hypersensibles » manifestent des symptômes parfois violents – des maux de tête, des nausées, saignements de nez, démangeaisons – à proximité d’antennes relais, de réseaux wifi ou d’installations électriques. Certains fuient les villes vers des zones non couvertes par les télécoms, pour retrouver la tranquillité.

On entend souvent dire que les chercheurs et les médecins ne s’intéressent pas à ces patients. C’est tout le contraire : des chercheurs – parmi lesquels, beaucoup de scientifiques indépendants, sans liens d’intérêt avec l’industrie [1] – et des médecins, qui veulent soulager leurs patients, ont travaillé sur ce sujet depuis plus de trente ans… Car avant l’invention des téléphones mobiles ou du wifi, il y avait déjà des personnes qui se disaient sensibles aux courants électriques, ou des installateurs d’antennes radio, qui exigeaient des études sur les risques du réseau hertzien [2]

Les premiers efforts scientifiques ont consisté à lister les signes cliniques des patients. Mais d’un groupe à l’autre, on observe des différences énormes dans les symptômes. Et s’il n’y a pas de symptôme vraiment spécifique à la maladie, cela n’empêche pas de constater la réalité des souffrances. L’Organisation Mondiale de la Santé résume le consensus sur ce sujet : ce syndrome « est caractérisé par divers symptômes non spécifiques qui diffèrent d’un individu à l’autre. Ces symptômes ont une réalité certaine et peuvent être de gravité très variable. Quelle qu’en soit la cause, l’électro-hypersensibilité peut être un problème handicapant pour l’individu touché. »

Un protocole de test simple

Du point de vue des patients, ces symptômes sont déclenchés par la proximité de téléphones, d’antennes. Mais sont-ce vraiment les ondes des réseaux de télécommunication [3] qui les rendent malades

Pour établir si des ondes électromagnétiques étaient ou non en cause, un protocole très simple a été proposé.

C’est ce que l’on appelle une « étude de provocation » : on se rend dans des zones sans réseau électrique – par exemple une cabane au fond d’un fjord [4] – ou dans des laboratoires spécialement isolés.

Là, le patient s’installe entre un émetteur et un récepteur, et doit dire si des troubles se manifestent. Mais au cours des tests, il ne sait pas si la machine est vraiment en marche. S’il exprime plus de troubles en présence d’ondes que lorsqu’il n’y en a pas, l’électro-hypersensibilité apparaîtra très vraisemblable.

Des symptômes surviennent… qu’il y ait des ondes, ou pas

Près de 2.000 patients ont été testés selon ce protocole [5]. Or, jusqu’à présent, aucun patient n’a montré une capacité à distinguer un émetteur allumé d’un émetteur éteint, même au cours de tests très longs [6]. Pourtant des symptômes, parfois violents, apparaissent bien durant les séances. Mais ceux-ci surviennent… indépendamment de la présence d’ondes [7].

Quelques chercheurs ont déclaré avoir identifié des patients électrosensibles, mais soit le nombre d’essais est insuffisant pour conclure, soit les essais n’ont pu être reproduits [8]. Dans tous les tests reproduits dans des conditions contrôlées, on obtient les mêmes résultats… qu’il y ait des ondes ou qu’il n’y en ait pas.

De nombreux paramètres ont été étudiés. Seul un effet biologique est avéré : certains champs électromagnétiques peuvent faire varier des ondes cérébrales. Toutefois, l’effet est actuellement jugé superficiel, puisque les perturbations n’influent ni sur la qualité de sommeil, ni sur la vitesse de raisonnement…

La conclusion des synthèses d’études publiées jusqu’à ce jour est que les ondes électromagnétiques ne sont pas en cause dans les troubles ressentis par les patients. Pour cette raison, des chercheurs ont proposé de renommer ce syndrome : intolérance idiopathique environnementale attribuée aux champs magnétiques.

Une terminologie alternative intéressante à « électrosensible » ou « électro-hypersensible » (qui présuppose, dans son énoncé, un lien de causalité physique) pourrait être « électrophobe » (ou « électromagnétophobe ») [9].

Quelles causes possibles à ces troubles ?

Au vu des données accumulées par l’ensemble des études de provocation, le principal déclencheur des troubles semble être la crainte que les ondes aient un effet sur la santé. C’est ce que l’on nomme l’effet nocebo. D’autres travaux, réalisés sur les lieux de vie même des malades [10], ont confirmé que l’intensité des symptômes n’est pas tant liée à la distance réelle avec les antennes, qu’à celle suggérée par les expérimentateurs.

Une illustration de ce phénomène a vraisemblablement été donnée début 2009, dans les Hauts-de-Seine. Les membres d’une vingtaine de familles se sont plaints de troubles très violents (maux de tête, nausées, saignements de nez) depuis la fixation de trois antennes relais sur leur bâtiment. L’opérateur a été assigné en justice. Cependant, selon les enquêtes judiciaires, les antennes n’avaient pas encore été raccordées au réseau, et n’auraient jamais émis quoi que ce soit… [11]

L’effet nocebo pourrait être accentué par d’autres facteurs [12]. L’OMS note que ce syndrome a beaucoup de points communs avec des expositions à la pollution chimique. La mauvaise qualité de l’air, la pollution intérieure, ajoutées au stress dans l’environnement de vie, pourraient être des ingrédients du problème.

Il est notable que la connaissance de ces résultats expérimentaux solides par les patients ne semble pas influer sur la survenue de leurs symptômes.

Quand la Justice fait fi des preuves scientifiques…

Au début de l’été 2015, se référant à une expertise médicale, un tribunal toulousain a décidé d’attribuer une « prestation de compensation de handicap » à une patiente s’estimant hypersensibles aux ondes électromagnétiques. Médiatisée à la rentrée de la même année, cette décision a été présentée par dans la presse comme « la première reconnaissance en France de l’hypersensibilité aux ondes ».

Pourtant, aucun test de sensibilité aux ondes n’a été effectué. Le médecin qui a été mandaté est allé discuter avec la patiente durant plusieurs heures, et a (simplement) constaté son isolement. Il a jugé qu’au vu de sa situation de dénuement, ses souffrances n’étaient pas simulées.

Il est important de comprendre qu’il s’agissait là d’un jugement rendu par un tribunal de contentieux. Le tribunal statuait sur une requête de la patiente, qui demandait une aide financière dans une situation handicapante, que nul ne conteste. Or, le tribunal ne statuait que sur la réalité des souffrances de la patiente, sans prendre position sur leurs causes.

Le 8 septembre de la même année, suite à la médiatisation de ce jugement, l’Académie de médecine a mis en garde « contre une interprétation erronée voire tendancieuse » de ce jugement, rappelant qu’il a été réalisé « indépendamment de toute argumentation scientifique ».

Ce n’était pas la première fois que l’Académie déplorait une décision publique relative à l’électrophobie. Fin avril 2014, le Conseil Général de l’Essonne avait accordé une aide financière à un malade pour lui permettre d’acquérir des dispositifs « anti-ondes« . L’Académie avait alors jugé qu’une telle décision, « malgré ses apparences compassionnelles », constituait une tromperie envers les personnes se percevant comme électrosensibles : « favoriser le commerce des dispositifs anti-ondes, c’est duper des personnes fragiles sur la foi de fausses allégations et de références pseudo-scientifiques« . L’Académie citait parmi ces références trompeuses le rapport Bioinitiative… « dont le principal auteur, Cindy Sage, propose de tels dispositifs sur Internet. »

Quid des médecins qui posent des diagnostics d’EHS ?

On peut ici rappeler que le terme « électrosensible » (ou EHS) renvoie à un auto-diagnostic, et non à une pathologie reconnue par la communauté médicale. Le fait qu’une poignée de mécecins prétende être capable de diagnostiquer l’EHS en tant que sensibilité aux ondes électromagnétiques n’en fait pas une réalité médicale objective.

Contrairement à ce qu’affirment ces praticiens, jusqu’à preuve du contraire, aucun « marqueur biologique » spécifique de l’électrosensibilité ne peut être détecté dans le sang. De même, aucune signature spécifique des troubles des électrophobes ne peut, là encore jusqu’à preuve du contraire, être détectée par imagerie cérébrale. [13]

[m-à-j de janvier 2018 : l’un des plus célèbres prétendus « diagnosticiens » de l’EHS, le Dr Belpomme, est visé par une procédure disciplinaire de l’Ordre des Médecins].

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Merci à G.J. Rubin pour m’avoir transmis une partie des études nécessaires à ce dossier, et pour avoir répondu à mes questions sur les biais expérimentaux potentiels des études de provocation.


Notes et références

[1] Certains dispositifs institutionnels ont été mis en place pour garantir l’indépendance des chercheurs. Voir notamment :

  • D. Coggon, « Letter to the Editor: Electromagnetic Hypersensitivity ». International Journal of Neuroscience, 2012. 122; 7. doi:10.3109/00207454.2012.675377

[2] Voir par exemple :

  • P. Czerski & M. Siekierzyński « Analysis of Occupational Exposure to Microwave Radiation », in Fundamental and Applied Aspects of Nonionizing Radiation pp 367-377

[3] Des ondes qui ne nous font pas que du bien, on en connaît plein : les rayons X, les UV, les infrarouges qui nous brûlent… et avec la bonne fréquence, les micro-ondes, ça cuit ! Justement, avec les micro-ondes, on est à l’extrémité des ondes radios. Juste après, il y a nos ondes utilisées pour les télécommunications.

[4] Voir notamment :

  • M. Hietanen et al. « Hypersensitivity symptoms associated with exposure to cellular telephones: No causal link. » Bioelectromagnetics, 2002. 23;4. pp. 264-270. doi :10.1002/bem.10016/abstract

[5] Lors de mes recherches pour constituer le dossier à l’appui de cette chronique, je me souviens être tombé sur un certain nombre de critiques méfiantes de la part de patients méfiants. Ceux-ci se demandaient si de faux malades mandatés par un lobby des télécoms ne s’étaient pas mêlés aux vrais pour truquer les résultats…Toutefois, parmi les personnes testées, on trouve des gens isolés en « zone blanche » depuis plusieurs années, donc tout sauf des simulateurs.

[6] Des séances de tests longues ne sont théoriquement pas nécessaires. En effet, dans environ 3 cas sur 5, les symptômes surviennent quelques minutes après la mise en présence d’un dispositif émetteur, et dans les heures qui suivent dans 1 cas sur 5. Les patients dont le tableau clinique correspond à un scénario de « saturation » sont une minorité. Voir :

  • Röösli et al. « Symptoms of ill health ascribed to electromagnetic field exposure – a questionnaire survey ». International Journal of Hygiene and Environmental Health, 2004. 207;2. pp.141-150. doi:10.1078/1438-4639-00269

[7] Voir notamment :

  • G.J. Rubin et al. « Do people with idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields display physiological effects when exposed to electromagnetic fields? A systematic review of provocation studies ». Biolelectromagnetics, 2011. doi:10.1002/bem.20690

[8] En 2013, une équipe a ainsi affirmé avoir reproduit des résultats sur le rythme cardiaque, avant de rétracter la publication, dû à de grossières erreurs d’analyse.

[9] J’emprunte cette proposition à Florent Martin, de l’Observatoire Zététique.

[10] Voir :

  • C. Baliatsas et al. « Non-specific physical symptoms in relation to actual and perceived proximity to mobile phone base stations and powerlines ». BMC Public Health, 2011. doi:10.1186/1471-2458-11-421

[11] Suite à mon passage sur France 5, des patients pas forcément très polis m’ont accusé d’avoir fait preuve d’une grande naïveté sur ce point, puisque je faisais ici aveuglément confiance aux déclarations de l’opérateur de téléphonie incriminé. A vrai dire, j’ai considéré que les avocats des plaignants avaient certainement demandé accès à des preuves soutenant ces allégations. En outre, le « passif » des publications scientifiques sur les effets nocebo liés à la crainte de l’exposition aux ondes permet de juger l’épisode vraisemblable ; mais il est vrai qu’en toute rigueur curiologique, sur ce fait divers, un peu de conditionnel ne nuit pas. Pour l’anecdote, un fait divers analogue s’est déroulé en Afrique du Sud en 2010.

[12] [m-à-j avril 2018] Un débat existe sur le rôle des médias (et du relais d’informations anxiogènes) sur l’émergence d’une réponse nocebo « aux ondes électromagnétiques » ; si des travaux suggèrent un tel effet, d’autres échouent à l’observer.

[13] [m-à-j avril 2018] Il est important de garder à l’esprit qu’une « étude » publiée ne signifie pas forcément que ses constats sont « scientifiquement validée ». Tant que les résultats ne sont pas confirmés de façon indépendante, un doute raisonnable peut subsister, d’autant plus grand que les données présentées entrent en contradiction avec des résultats antérieurs corroborés. Après examen par l’Anses, une étude cosignée par le Dr Belpomme, spécialiste auto-proclamé de l’EHS, s’est révélée truffée de biais. Et l’Agence de conclure : « L’article de Belpomme et al.(2015) ne permet en aucun cas d’établir un lien entre une anomalie quantitative des biomarqueurs analysés et l’origine des symptômes. « 

Ressources complémentaires

  • G.J. Rubin et al. « Electromagnetic Hypersensitivity: A Systematic Review of Provocation Studies ». Psychosomatic Medicine, 2005. 67;2. pp. 224-232 doi:10.1097/01.psy.0000155664.13300.64
  • G.J Rubin et al. « Are some people sensitive to mobile phone signals ? Within participants double blind randomised provocation study », British Medical Journal, 2006. 332, pp. 886-891.
  • Martin Röösli, « Radiofrequency electromagnetic field exposure and non-specific symptoms of ill health: A systematic review » Environmental Research, juin 2008. 107;2. pp. 277-287. doi:10.1016/j.envres.2008.02.003
  • G.J. Rubin et al. « Idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields (formerly ‘electromagnetic hypersensitivity’): An updated systematic review of provocation studies ». Bioelectromagnetics, 2010. 31;1. pp. 1-11. doi:10.1002/bem.20536
  • Martin Röösli & Kerstin Hug, « Wireless communication fields and non-specific symptoms of ill health: a literature review ». Wiener Medizinische Wochenschrift, 2011. 161;9-10. pp. 240-250. doi:10.1007/s10354-011-0883-9
  • Peu de données existent sur le nombre de personnes s’estimant électrosensibles. Selon des ressources cités sur le site de l’OMS, il y en aurait beaucoup en Suède et en Allemagne, et moins ailleurs. Ainsi, selon un sondage réalisé en Californie, 3% des sondés estimeraient avoir une forme de sensibilité aux ondes. Des données suisses suggèrent que 5% des gens souffrant de troubles du sommeil ou de maux de tête l’attribueraient aux ondes électromagnétiques.

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