« Et les piqûres de vives ? »
LES IDÉES REÇUES DES VACANCES (COMPLÉMENT) – L’an passé, j’avais débuté une petite série sur les idées reçues des vacances par un petit article sur le mythe de l’urine qui soulage les piqûres de méduses. Vous y appreniez que l’eau salée chauffée à 42-45°C dégradait efficacement le poison inoculé par ces coquins de cnidaires, sans l’effet pervers de l’eau douce ou de l’urine (qui fait saillir les structures venimeuses qui ne se seraient pas encore déployées, hachetague fausse bonne idée).
Consécutivement à cette publication, plusieurs curionautes m’ont demandé si ces conseils étaient également valides pour les piqûres de vives, ces poissons sournois à petite crête de punk avec du venin à la place de la teinture rose.
En voilà une question qu’elle était bonne. Et je n’en savais fichtrement rien moi, j’avais déjà eu fort à faire avec les méduses…
L’interrogation a piqué ma curiosité [1] et, faute de méta-analyses sur le sujet, j’ai fait le tri à l’ancienne. Voilà le bilan, que je vous communique sans vous faire lambiner plus longtemps, car comme pour l’article de l’an dernier, vous êtes peut-être en train de lire ça sur un smartphone, depuis un coin de plage, en douillant grave sa mère la vive, je comprends, et compatis.
Donc. La littérature médicale établit actuellement que, pour faire décroître la douleur causée par les vives, l’immersion sans délai de la zone touchée dans l’eau à 45°C durant 30 à 90 minutes est la stratégie de première intention la plus efficace [2]. Le venin des Trachinidae est en effet, lui aussi, thermolabile. En revanche, la salinité de l’eau ne semble pas pertinente ici, le mode d’injection du venin étant très différent de celui des méduses et de leurs fichus nématocystes.
Si l’eau chaude ne suffit pas à dissiper la douleur, un médecin pourra prescrire des analgésiques (paracétamol, ou plus costaud s’il le juge utile).
Pensez à désinfecter la plaie. Au moindre soupçon de complication (difficultés respiratoires…), il est vivement conseillé de contacter les urgences.
Pour l’anecdote, quelques vieux articles médicaux [3] invitent les personnes piquées par les vives à plonger la zone touchée dans de l’eau glacée.
Mais parmi les auteurs qui ont couché cette préconisation noir sur blanc, j’en ai trouvé un qui s’est fendu d’un discret mea culpa : ce conseil, il le tenait d’un confrère, mais il n’avait pas réellement cherché à l’évaluer avant de rédiger son article… Après plus ample examen, il admet que cette approche est en réalité « totalement inefficace ». Car, oui, le titre de médecin (et les diplômes qui vont avec) n’immunise pas contre la croyance en des idées reçues erronées [4]…
[1] Oui, je sais, j’ai déjà fait cette blague ailleurs.
[2] Voir :
- D. Emerson, « Treating envenomation caused by fish sting. » Emerg. Nurse, 2012;20(3). pp.28-29. doi:10.7748/en2012.06.20.3.28.c9153
- R.S. Davies & R.J. Evans, « Weever fish stings: a report of two cases presenting to an accident and emergency department. » J.Accid. Emerg. Med. 1996;13(2). pp.139-141.
- P. Halpern et al. « Envenomation by Trachinus draco in the eastern Mediterranean. » Eur J Emerg Med. 2002;9(3). pp.274-277.
- ainsi que cet abstract : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9542867
Des résultats cliniquement significatifs semblent avoir été obtenus avec de l’eau « aussi chaude que supportable, à une température ne dépassant pas 42 degrés Celsius, selon les résultats d’une thèse d’exercice datée de 2016.
- Alix Dattin. « Évaluation de l’efficacité du bain d’eau chaude isolé dans le traitement des envenimations par piqûre de poisson osseux en France Métropolitaine : étude de 184 cas au cours de l’été 2015. Médecine humaine et pathologie ». 2016. ⟨dumas-01468050⟩.
Un.e chimiste à qui l’on donnerait pour analyse du venin de vive dans un éprouvette, sans élément de contexte, jugerait probablement (j’insiste sur le probablement) nos 45°C un peu « petit bras ». Si l’on veut dégrader ces molécules « vite et bien », il/elle préconiserait sûrement de pousser un peu le thermostat. Sauf qu’au-delà de 45°C, la sensation de brûlure provoquée par l’eau a de grandes chances de surpasser la sensation de « aaaah quelle poisson de meeeeeeerde la vache, maman, brûlons les océans » associée au venin. Les études bien ficelées sur la cinétique de la dégradation du venin de vive manquent pour identifier ce qu’il y aurait réellement à gagner (ou à perdre) à élever (ou abaisser) d’un degré l’eau utilisée pour ce soin.
[3] Voir par exemple : D. Cain, « Weever fish sting: an unusual problem. » BMJ (Clin. Res. Ed.), 1983, 287(6389). pp.406-407. doi: 10.1136/bmj.287.6389.406 [4] Sur cette question ô combien sensible, je peux invite à compulser le volumineux neuvième chapitre d’un très bon bouquin paru fin novembre 2017 aux éditions Belin, qui… 😜
Je vais essayer de trouver un ordinateur pour y remédier ! Merci 🙂