À transmettre à tous les gens bien parmi vos contacts…
Je reprends ici le texte d’un chronique présentée au Magazine de la santé début 2018, adressée aux gens bien. Si vous en connaissez, n’hésitez pas à leur faire passer le mot.
Une chronique d’il y a plusieurs mois ? Oui. Mais qui possède, hélas, mille fois hélas, l’étonnante propriété de pouvoir être republiée, presque « telle quelle », saison après saison, année après année.
Un exemple apparemment anodin…
Très récemment, une personne que j’aime beaucoup m’a transmis un message « urgent », soulignant que, puisque j’étais journaliste, il était certainement de mon devoir d’en amplifier la diffusion. Il s’agissait d’un appel au don du sang pour une petite fille atteinte d’une leucémie, qui avait besoin d’une transfusion, avec un groupe sanguin rare. Le message donnait le numéro du médecin, et le nom de l’hôpital. Appel urgent, forcément.
Sauf que… urgent… vraiment ? le message n’est pas daté… Que pour collecter le sang, y compris le rare, on a la chance d’avoir l’Établissement Français du Sang. Et du sang A négatif, c’est près de 7% de la population, alors si je diffuse ce message, il y a potentiellement des centaines de milliers d’appels qui vont, de bonne foi, encombrer les lignes téléphoniques de l’hôpital.
Tout est faux ? Non, c’est pire que cela. L’origine du message a été identifiée il y a longtemps par l’équipe d’Hoaxbuster (vétéran francophone des sites de lutte contre les canulars du web). Initialement, un authentique appel à la solidarité lancé par une maman il y a 18 ans. Inscrit sur le fichier mondial des dons, son enfant a bénéficié d’une transfusion de sang placentaire en décembre 2003. Il est malheureusement décédé sept mois plus tard. Mais le message – non daté – a continué de circuler… et d’être modifié par des gens mal intentionnés, qui ont inventé les noms d’un service médical, d’un médecin. Depuis 16 ans, les CHU nommés dénoncent régulièrement ce message, mais impossible d’éradiquer le mal.
L’origine de ce mal ? Les gens bien
Pourquoi n’arrive-t-on pas à arrêter ça ? Parce que les gens sont des gens bien.
Transmettre ce message sur les réseaux sociaux n’a coûté qu’un clic à mon amie, mais dans ce clic, il y a toute son empathie, sa solidarité pour une inconnue, sa bienveillance et son indignation pour le sort qui touche cet enfant. Il y a son espoir que son geste puisse compter… Même scénario avec d’innombrables canulars sanitaires (comme par exemple le faux tract de Villejuif, présenté comme authentique par un député sur France 5 quelques jours avant mon propre passage à l’antenne [1]) : ça ne coûte pas cher d’alerter ses proches (et ses concitoyens…) contre les risques de cancer. Ne pas le relayer, ce serait agir comme un monstre sans cœur.
C’est même valorisant socialement (et ne manque pas de flatter notre ego) : en un clic, on (croit) démontre(r) notre sens civique et notre générosité !
Sauf que, comme nous l’avons dit plus tôt, lorsque l’on appelle le CHU d’Angers, de Nantes, ou d’ailleurs : on encombre leur ligne pour de vraies urgences. Pire : quand le standard excédé vous dit « vous avez été victime d’un canular », cela décourage les bonnes volontés, et discrédite le don, sous toutes ses formes.
Que pour les parents de la petite fille, c’est absolument atroce de voir repasser ces messages sans fin, et de ressasser ce qui s’est passé il y a près de deux décennies. Pour le tract de Villejuif, ça entretient artificiellement une psychose [2 (je vous conseille la lecture de cette note !)]. D’autres « faux » ont des conséquences plus graves encore : retards de traitement, consommation de produits inefficaces ou dangereux, mise en danger de la vie d’autrui.
Ces tristes canulars, ces faux forgés à des fins malveillantes, reviennent sans cesse. Et ces « revenants » me glacent autrement plus le sang que ceux sensés errer avec des chaînes et des draps blancs…
Si l’on veut vraiment faire un geste citoyen : il faut se retenir de partager compulsivement, s’obliger à prendre le temps de vérifier avant de partager. C’est le seul moyen d’éradiquer ces mensonges qui reviennent sans fin. Sinon, on s’en rend complice.
Plus contagieux que le Covid-19 : les fakenews sur le Covid-19
Si je songe à republier le texte de cette chronique, entreposé dans le « back office » de Curiologie depuis deux ans, c’est parce qu’un énième hoax m’a été transmis hier par une autre personne qui m’est très chère… et que je croyais particulièrement sensibilisée à cette question des fake news sanitaires virales. Son message (adressé à plusieurs de nos relations communes) débutait ainsi :
Bonjour. Un message de la part de Muriel Alvarez qui est professeur d’infectiologie au CHu […]
La suite ? Un festival de faux, invitant les citoyens à adopter des gestes complètement inefficaces (et donc contreproductifs) en plein cœur de la crise du coronavirus covid-19. De très nombreux indices pouvaient faire sonner un détecteur de foutaises bien calibré [3], mais voilà : l’envie de bien faire, d’aider son prochain, et in fine de partager à ses proches des conseils et solutions simples et efficaces, court-circuite sans mal le sens critique. « Je devais avoir envie d’avoir des pistes de solutions ! », me confiera mon amie, après que je lui ai signalé qu’elle sa gentillesse l’avait rendue complice d’une triste et dangereuse mauvaise blague… à la contagiosité supérieure à celle du virus.
J’avais prévu de rédiger un long « debunk » de ce fameux message viral « d’un ami médecin » à propos du coronavirus. Mais un journaliste de Radio France a déjà fait tout le travail… je vais donc me contenter d’aller me refaire un café. N’hésitez pas à transmettre son billet (et celui que vous venez de lire !) à vos proches, en faisant preuve de bienveillance. Rien n’est pire que de faire preuve d’arrogance lorsqu’on signale à quelqu’un (de bien !) qu’il s’est fait berné. Ne remettez pas en doute sa bonne foi. Peut-être même devriez-vous commencer par en faire l’éloge…
Et ne faites pas trop le malin car, souvenez-vous : ceux qui sont persuadés d’avoir un esprit critique à toute épreuve et de « ne jamais se faire avoir » ne sont pas les derniers à être les dindons de la farce.
@curiolog
Tant que vous êtes ici…
Avec le covid-19, on constate une razzia sur les « vitamines et compléments alimentaires » dans les pharmacies, dans l’espoir de « booster son système immunitaire »… Sur ces questions, vous pouvez lire (et partager) ces deux dossiers toujours d’actualité :
…et tant que vous êtes là…
Factchecking, dossiers de synthèse, lecture critique de sources, vulgarisation… Trois façons de soutenir le travail que fourni sur curiologie.fr :
Notes, références et autre exemple édifiant…
[1] Comme évoqué dans la chronique de février 2018, le dernier « revenant » en date avait été croisé dans l’émission C Politique, sur France 5. Le député Richard Ramos intervenait sur le plateau, pour alerter le public de l’omniprésence des additifs toxiques dans les produits transformés dont nous remplissons nos assiettes. Pour appuyer son propos, il brandit une liste, « établie par l’hôpital de Villejuif », et révèle aux téléspectateur le matricule du plus cancérigènes de tous les additifs. Omniprésent dans l’alimentation : le E330. Une lettre et trois chiffres qui font écho à toute la froideur des laboratoires de chimie.
Et moi, derrière mon écran, j’ai bien sûr été horrifié… Non pas par le E330, ne nous méprenons pas. Le E330, on m’a mis en garde contre lui il y a très longtemps ; dans les années 1980, mes parents avaient reçu dans leur boîte au lettre un tract listant les produits cancérogènes de l’alimentation, document qui se référait à l’hôpital de Villejuif, justement. Beaucoup de gens ont reçu cette liste et, comme mes parents, proscrits les innombrables boissons, bonbons et gâteaux au E330… Oui, oui, on parle bien d’une alerte qui tourne depuis plus de 30 ans…
Sauf que… Sauf que comme le savent (notamment) les lecteurs de Santé, science, doit-on tout gober ?, E330 c’est juste la nomenclature européenne pour l’acide citrique, c’est à dire l’essentiel de ce que vous trouvez dans le jus de citron. Et que ça n’est pas plus cancérigène que de porter des chaussettes ou d’utiliser des cintres. Que l’hôpital de Villejuif, enfin l’institut Gustave Roussy, n’a JAMAIS édité la liste qui a été brandie par le député. Que les démentis sont émis depuis presque aussi longtemps que ce texte est en circulation, soit le milieu des annees 1970. Pages web, e-mails et post Facebook qui relaie ce « faux » dérivent d’un tract anonyme inspiré d’un article de presse de 1975 qui se faisait l’écho de la nouvelle nomenclature des additifs de la Communauté économique européenne. D’aussi loin que des sites Internet recensent des listes de canulars, celui-ci est considérée comme un classique.
Comment un député en est-il venu à présenter ce canular comme une information sérieuse ?
Dès le lendemain de l’émission, j’ai appelé le député Ramos, qui m’a expliqué avoir demandé à ce qu’on lui imprime une liste d’additifs avant l’émission et c’est (je cite), « c’est la première qui est sortie ». Première requête sur Internet, donc un texte populaire, qui en plus nommait un hôpital. Pourquoi se méfier… Pourquoi ? Alors : il faut graver ça sur le pourtour de vos écrans, télé, ordinateur, téléphone : ce n’est pas parce qu’un fait est populaire qu’il est nécessairement vrai, et ce n’est pas parce vous clame « une source légitime a dit » qu’elle l’a réellement dit.
Le député Ramos m’a expliqué « ne pas être scientifique » et ne pas pouvoir être assisté par des scientifiques pour tous les dossiers. Ce n’est pas une excuse pour ne pas vérifier ce qu’on colporte… surtout des informations aussi sensibles ! La recherche n’était guère difficile à faire : il suffisait de taper E330 sur une barre de recherche pour voir nommé acide citrique, jus de citron, et voir évoquer le canular. Ironie de l’affaire, dans l’émission le député disait que dans les écoles, il faudrait éduquer les enfants à la consommation, à lire les étiquettes. Il a conclu notre échange sur le fait que son erreur « illustre le fait qu’il faudrait peut-être, aussi, une éducation à l’information scientifique ».
Y’a plus qu’à. Preuve que c’est urgent [Note : au 16 mars 2020, date de publication du présent billet, on attend toujours…].
Et souvenez vous : même un député peut se faire piéger. Ni lui, ni vous, ni personne n’est immunisé.
[2] Je raconte souvent cette anecdote mais… Ayant grandi dans le Val-de-Marne, j’ai moi-même vécu toute mon enfance avec cette croyance, une version du « tract de Villejuif » sous un aimant du réfrigérateur familial… Ca m’aura au moins évité de dépenser trop d’argent dans les Malabar et les canettes de Schweppes, entre autres produits proscrits sur la foi du fameux document !
[3] A.k.a le D.D.I. dans « Santé, science… » 🙂
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