Monoxyde de dihydrogène, arsenic et couches-culottes
Le 23 mars 2017, dans le Magazine de la santé de France 5, nous avons pu alerter sur un danger trop peu médiatisé, qui demande pourtant – et plus que jamais – une réelle prise de conscience. (▶️ vidéo disponible sur le site de l’émission, ou plus bas dans cet article).
Notre propos reprenait, en l’actualisant au regard de faits nouveaux, des éléments mis en lumière aux États-Unis il y a très exactement 34 ans. Il s’agissait, dès cette époque, d’alerter la population des dangers d’une substance chimique inodore, incolore, et à laquelle nous sommes, TOUS, exposés quotidiennement : le monoxyde de dihydrogène (MODH), également parfois identifié sous les noms hydroxyde d’hydrogène, ou acide hydroxyque).
Ce produit fait l’objet d’un intense lobbying. Gouvernements et armées, dépensent annuellement des milliards d’euros pour le stocker et le contrôler. C’est notamment un produit que l’industrie chimique utilise couramment comme solvant et diluant, connu pour entraîner la corrosion et la destruction de nombreux métaux.
Or, on y reviendra, on parle d’un produit omniprésent dans notre environnement. On le retrouve en quantités substantielles dans tous les fleuves de France et jusque dans l’alimentation : les surgelés, les fast-foods, mais également dans les produits bio.
De puissants effets sur la santé
In vitro, on a observé que le MODH pouvait provoquer l’éclatement des cellules humaines. Il est retrouvé dans toutes les biopsies de lésions pré-cancéreuses, et dans les tumeurs de malades du cancer en phase terminale. Une ingestion de MODH a aussi des effets biologiques avérés à court terme, telle que sudation et miction excessive. En augmentant les doses, on peut observer des sensations de ballonnement, de nausées, des vomissements, et ça peut aller jusqu’à des déséquilibres électrolytiques pouvant entraîner le coma. Concernant son inhalation, même en faible quantité, elle peut causer une mort par asphyxie. C’est d’ailleurs pour cette raison que le MODH est utilisé dans certains protocoles de torture, comme ça a été le cas à Guantanamo. L’OMS estime à 372.000 le nombre annuel de décès liés à son inhalation accidentelle. 91% de ces morts se produisent dans les pays les moins favorisés.
Et ce ne sont pas les seuls aspects à évoquer du point de vue de la santé : le contact prolongé avec les formes gazeuses ou solide du MODH peuvent causer de graves brûlures, et entraîner des lésions des tissus.
S’en sevrer signifie une mort certaine
Mais regardons plus loin. Le MODH, c’est aussi le principal constituant des pluies acides. Il est l’origine avérée de catastrophes écologiques innombrables. Sachant qu’il est relâché en grande quantité par les centrales nucléaires, directement dans les rivières, ainsi que dans l’atmosphère alors même qu’il s’agit d’un puissant gaz à effet de serre. On en retrouve… jusqu’au Pôle Nord. Soyons clair, pour conclure, toutes les personnes qui sont entrées en contact avec du MODH sont mortes ou vont mourir ; le sevrage de monoxyde de dihydrogène signifie une mort certaine. On parle pourtant d’un produit en accès libre.
Vous pouvez signer, ou faire signer, une pétition pour bannir le MODH. De telles pétitions circulent depuis plus de 20 ans, mais les pouvoirs publics n’ont encore pris que peu de mesures concrètes contre les fléaux ici dénoncés.
Mensonges par omission
À l’antenne, nous avons proposé de réaliser une expérience audacieuse : verser du monoxyde de dihydrogène dans un verre, puis le boire. C’est à ce moment que nous avons rappelé, avec les animateurs de l’émission, que mono-oxyde signifiait « un atome d’oxygène », et di-hydrogène « deux atomes d’hydrogène ». Deux hydrogène, un oxygène : cela fait H2O. En termes plus prosaïques : de l’eau.
Nous parlions bien, dans toute la première partie de ce billet et durant l’émission, uniquement de l’eau. Or, tout ce qui est écrit est rigoureusement exact, comme vous pourrez vous en convaincre en remplaçant méthodiquement chaque référence au MODH par le terme « eau ».
- L’eau est inodore, incolore, omniprésente dans notre environnement.
- Les gouvernements et les armées, dépensent des milliards d’euros pour stocker et la contrôler.
- L’industrie se sert de l’eau pour diluer et dissoudre.
- Elle corrode les métaux.
- On trouve de l’eau en quantités phénoménales dans TOUS les fleuves de France,
- et dans l’alimentation, dont les surgelés.
- Il y a de l’eau dans les cellules cancéreuses.
- Si vous buvez plus d’eau, vous urinerez plus (vive la luthomictiothérapie !).
- Si vous vous forciez à trop boire, on s’attend à des sensations de ballonnement, des nausées, jusqu’à des déséquilibres électrolytiques entraînant le coma (phénomène d’hyponatrémie, déjà évoqué sur ce blog).
- La noyade, c’est 372.000 morts par an dans le monde (à Guantanamo, l’acte de torture destiné à simuler la noyade est le waterboarding).
- La vapeur et la glace brûlent.
- L’eau est le principal constituant des pluies acides.
- L’eau est au cœur des inondations.
- L’eau est relâchée par les centrales.
- Tout ceux qui ont bu de l’eau sont mortes ou vont mourir, mais s’en sevrer est mortel.
Vous le constaterez, le discours est beaucoup moins effrayant dès lors que l’on change un mot « un peu savant » par un nom tout à fait commun.
Car le danger que nous souhaitions dénoncer à l’antenne, et qui demande une réelle prise de conscience, n’est bien sûr pas celui de l’EAU, mais celui des MOTS.
Un canular pédagogique classique, mais ô combien efficace…
L’exemple du monoxyde de dihydrogène est un canular qui a plus de 30 ans. Imaginé en 1983 par une gazette du Michigan, diverses versions ont commencé à se diffuser aux États-Unis à la fin de cette même décennie.
Il sert couramment de support pédagogique [1] dans des cours d’éducation aux médias, de journalisme et d’esprit critique (n’hésitez pas à partager vos versions préférées en fin d’article !). J’ai personnellement réussi à faire signer une pétition contre le monoxyde de dihydrogène à des étudiants en IUT de chimie (qui ont ultérieurement eux-mêmes obtenus de jolis succès avec ce canular)… Car, oui, il est fort aisé de « tomber dans le panneau ». C’est un exercice très instructif qui rappelle qu’en ne remettant pas les choses dans leur contexte, on peut aisément influer sur notre perception du danger.
Nous aurions pu, de la même manière, alerter sur un produit de grande consommation qui contient rien moins que du cyanure. Il s’agit de… (wait for it…) la pomme ! Oui, il y a du cyanure dans les pépins de pomme. Rendez-vous compte, des pépins en contact avec la chair du fruit ! Et on peut en manger par inadvertance, comme moi-même la semaine dernière dans une pomme au four. Évidemment, c’est à faible dose. À très faible dose. Un élément contextuel à ne pas négliger…
La France a peur
Le fait est que, dans certains journaux ou sur les réseaux sociaux, nous sommes fréquemment confrontés à des communiqués alarmistes, révélant que « des produits chimiques dangereux » ont retrouvés dans des aliments, voire dans des couches pour bébés. Danger, aliments, bébés, mais que font les pouvoirs publics ?
L’inquiétude est générée à peu de frais. Mais pas toujours à raison, au regard du danger réel. Certes, parfois, la situation dénoncée est réellement inquiétante. De l’eau du robinet polluée ou des aliments contaminés par des quantités significatives d’agents délétères pour l’organisme, n’est évidemment pas quelque chose à prendre à la légère. Cependant, parfois, les alertes apparaissent rédigées (et relayées) par des gens qui semblent ne rien connaître à la biologie, à la chimie ou à la toxicologie.
Si vous lisez (comme c’était le cas dans la presse le mois dernier) : « On a retrouvé un pesticide à l’état de traces dans des couches pour bébé… », il y a des questions à se poser avant de paniquer ! A l’état de trace, ça veut dire qu’on a désormais des technologies qui permettent de détecter une molécule isolée dans une botte de foin : l’expérience a été faite il y a quelques années en Belgique, des chimistes ont retrouvé trace de virus de l’herpès dans des livres les plus empruntés d’une bibliothèque… Aucun risque de contamination, mais dès lors qu’on peut le détecter, on peut écrire des articles effrayants. Disons-le de nouveau : parfois, c’est pertinent. Parfois, de faibles doses ont des effets.
Parfois, on a de vraies raisons de penser que des molécules diverses et variées peuvent se combiner et être plus dangereuses. Mais quand on vous sert une info alarmiste, ce n’est pas toujours le cas, et quand on ne met pas en rapport l’info avec le niveau à atteindre pour observer le plus petit effet biologique… on peut raconter n’importe quoi. Gardez votre esprit critique en éveil !
Dans une semaine, c’est le 1er avril ; à cette occasion n’hésitez pas à faire circuler ce très efficace canular pédagogique sous la forme de notre pétition (mise en ligne, vous l’aurez noté, pour la Journée Mondiale du MODH) !
D’autres versions du canular et ressources pédagogiques :
- Site dédié à la dénonciation des méfaits du MODH : Monoxyde de dihydrogène – les faits – DHMO.org
- Dans l'(excellente) émission L’heure du doute (Mosaïque FM, Fréjus), de l’ami Nichoax, en décembre 2016.
- Le dossier noir de l’acide hydroxyque, par Pierre Barthélémy sur Slate.fr, ou L’acide hydroxyque, ennemi de la vessie timide, du même auteur, sur Passeurs de sciences.
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Influence d’un terme scientifique sur notre jugement, sur le site du Cortecs.
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Dangers of Dihydrogen Monoxide, sur l’indispensable site Snopes.
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Galerie d’images (plus ou moins) alarmistes, ine ingliche beute stile :
Notes et références
[1] À mon sens, un bon canular pédagogique doit contenir en lui-même les germes de sa réfutation, c’est-à-dire qu’il peut être réfuté par une analyse simple des données exposées, et d’elles seules, sans révélations supplémentaires. Pour répondre à des critiques (rares !) aperçues sur les réseaux sociaux : par sa nature même, un canular pédagogique n’a rien de condescendant ni de méprisant, bien au contraire… et « tomber dans le panneau » (ce qui est très facile) est très instructif ! Une telle chronique serait inutile si certains rédacteurs de presse se dispensaient de crier à l’alerte sanitaire analogues pour « un picogramme d’arsenic par tonne » dans des jus de fruits… N’y a-t-il pas plus de mépris et de condescendance de la part d’un journaliste qui ne remet pas les choses en perspective pour son lecteur que dans une caricature immédiatement réfutée dans la foulée de la chronique ? Si le sujet vous intéresse, je reviendrai ultérieurement sur ce blog sur des exemples de célèbres canulars pédagogiques réussis… et sur d’autres « blagues » élaborées sans anticipation de leurs conséquences probables. Mais mes étudiants connaissent déjà ce sujet par cœur…
Y’a des fôtes :p
[corrigées ! merci, te voilà créditée de 9 UOB !]
Excellent article comme d’habitude.
C’est incroyable! Génial.
Cette intéressante prise de conscience menée par Florian a même été repris par Koreus, site connu « d’actualités insolites »! https://www.koreus.com/modules/news/article23817.html
Canular pédagogique très efficace en cours de 4eme. En Français il y a une thématique « Informer, s’informer, déformer » et c’est souvent l’année qui est choisie pour présenter la notion d’atome et les modèles atomiques en Sciences Physiques.. qui a dit interdisciplinarité et travail de l’esprit critique ?
🙂 J’encourage évidemment les enseignants à utiliser la vidéo (et la couper en deux) à des fins pédagogiques ! Il me semble que l’ambiance très « officielle » du Magazine de la santé donne un relief intéressant au canular, et permet de creuser d’autres questions avec les élèves/étudiants !
Canular classique que je connaissais depuis longtemps mais qui me fait toujours autant rire, et qui ne perd en rien de sa force tant pédagogique que comique avec le temps (et pour cause, pas de vie sans MODH). Une autre qualité de ce gag est sa réinventabilité, on peut jouer à l’infini sur tous ces exemples des méfaits du MODH et en créer à chaque fois de nouvelles variantes.
En parlant de traces, j’aurais une question concernant le PFC et autres polluants qui seraient sur des vêtements de plein air. J’ai lu et entendu quelques fois qu’ils servent pour l’imperméabilité et qu’on en retrouve dans la nature « sauvage », et que tout ça serait dangereux pour l’homme. Greenpeace a mené une étude il y a un ou deux ans. Mais j’ai du mal à trouver d’autre sources. Aurais-tu plus d’infos, ou d’autres articles sur lesquels m’orienter?
Bonjour Julius 😉
J’avais réalisé un reportage au Québec sur la question, mais ça date un peu… http://curiologie.fr/2016/09/beluga/
Si je trouve d’autres ressources au gré de mes recherches, je te les fais suivre !
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Ping : Santé, science, et scepticisme (avec Florian Goutthière) – relife, le podcast
Vraiment incroyable! Intéressant et très efficace en cours
Ahah ! Merci 🙂 Heureux que cet outil fonctionne si bien ^^
Un canular drôle et pédagogique, une démonstration de la crédulité du public par rapport aux informations formulées dans un jargon scientifique alarmiste… Intéressant. Seulement, certains produits (glyphosate, néonicotinoïdes, DDT, PCB, dioxines, fipronil, etc.) peuvent présenter un risque important pour l’environnement ou l’utilisateur et/ou le consommateur, parfois même à faible dose (par exemple dans le cas des néonicotinoïdes pour les abeilles, ainsi que pour beaucoup d’autres insectes et aussi possiblement pour l’homme). Pour ce qui est des OGM, qui sont très controversés, certains peuvent présenter un risque (c’est notamment le cas des OGM tolérants à des herbicides, par exemple ceux qui sont tolérants au glyphosate. Le risque ne vient pas ici de l’OGM en lui-même, mais de l’herbicide auquel il est tolérant). Les anti-pesticides, anti-OGM, etc. ne sont donc pas tous des crédules, mais parfois des gens bien informés, parfois des gens mal informés, parfois des crédules (qui ne sont pas majoritaires, du moins dans le cas des anti-pesticides et des anti-OGM). Par contre dans le grand public il y a beaucoup plus de crédules, y compris dans les pro-pesticides et les pro-OGM…
P.S. : à la fin de votre article il est écrit que parfois ces alertes sont justifiées, mais j’ai jugé qu’il était pertinent que quelqu’un (en l’occurrence moi) explique un peu plus en détail la situation.
C’est en effet un canular pédagogique qui peut être dévoyé, que j’ai vu plusieurs fois utilisé à tort pour discréditer les questions des produits sans effets de seuil (i.e. perturbateurs endocriniens avec effets sur l’homme ou des espèces potentiellement exposées). Invoquer l’exemple du MODH n’a – à mon sens – de sens que pour interroger des cas de substances dont l’effet biologique notable (ou délétère) n’apparaît qu’au-delà d’un seuil très élevé.