Le séisme japonais de 2010 a-t-il changé l’axe de rotation de la Terre ?

Je reproduis ici, pour archive, un double billet de blog que j’avais rédigé bénévolement en 2010, à destination du blog d’un copain bossant au Monde. Je n’avais pas encore créé Curiologie.fr, mais ces textes y auraient eu, assurément, leur place ! L’essentiel des anciens blogs du Monde (y compris les « blogs invités », c’est-à-dire rémunérés par le site) étant inaccessibles depuis quelques années, je republie ce texte en lieu plus sûr… c’est-à-dire ici. Le sujet aurait tout à fait pu illustrer un passage de SSDOTG, mais j’avais oublié cet épisode lors de la rédaction du livre en 2017 !

Le séisme japonais a-t-il changé l’axe de rotation de la Terre ?

« Le séisme a changé l’axe de rotation de la Terre ! » L’information, sensationnelle, avait déjà fait les titres de plusieurs quotidiens lors du séisme chilien du 27 février 2010. Le tremblement de terre de Sendai, au Japon, le 11 mars dernier, a vu la réédition des mêmes conclusions surprenantes.

En toute rigueur, pourtant, rien ne permet encore d’affirmer quoi que ce soit, dans un cas comme dans l’autre. Car en réalité, comme nous le confirme Christian Bizouard, responsable du Service de la Rotation de la Terre à l’Observatoire de Paris, « personne n’a encore jamais mesuré de déplacement de l’axe terrestre dû à un séisme ».

A l’heure actuelle, en effet, « le phénomène reste purement théorique ». Et les rédactions sont parfois allées un peu vite en besogne… « Soyons clair : un séisme n’a pas d’effet immédiat sur l’axe de rotation » poursuit Christian Bizouard. « La théorie prévoit un effet progressif, qui atteindrait un déplacement maximum du pôle de rotation de 14 centimètres au bout de sept mois. » Mais nous parlons bien de théorie. Et si l’on observe quelque chose, ce ne sera que dans les mois qui viennent.

Pourtant, le déplacement brutal de masses conséquent au séisme à vraisemblablement modifié quelque chose. A savoir l’axe d’inertie de la Terre.

Axe de rotation, axe d’inertie… il y a effectivement de quoi perdre le Nord. Qui a déjà vu une mappemonde tourner sur son axe incliné est familier avec la notion d’axe de rotation (les deux points où cet axe coupe la surface du globe étant ses pôles de rotation).

Concept mécanique plus abstrait, l’axe d’inertie dépend pour sa part de la répartition des masses dans notre planète. Si la Terre était un corps homogène, cet axe d’inertie serait confondu avec l’axe de symétrie. Mais voilà, la Terre n’est pas homogène : les marées, les mouvements océaniques, les mouvements tectoniques et les déplacements de masses atmosphériques modifient en permanence son profil, de façon considérable (et observable). Le centre de gravité (par lequel passe l’axe d’inertie) est ainsi constamment « en mouvement ». La masse des glaciers en Antarctique joue aussi son petit rôle ! Tout déplacement de masse, dans le globe, déplace simultanément l’axe d’inertie. A fortiori, théoriquement, ceux conséquents à un séisme.

Au fil du temps, les modifications permanentes de l’axe d’inertie induisent de lents basculements de la croûte terrestre et de son axe de rotation. Il s’agit là d’un phénomène continu, mesuré, qui ne justifie généralement pas les gros titres des magazines. Sur un jour, l’axe de rotation bascule de 2 à 6 millisecondes de degré (soit un déplacement du pôle de rotation de 6 à 20 cm).

Ci-dessous : mouvement de l’axe de rotation terrestre sur une année. La graduation en milli seconde de degré (mas), soit 1/3 600 000 de degré. La variation correspondante du pôle de rotation est de l’ordre de 3 cm par mas.

© Observatoire de Paris / Service de la Rotation de la Terre

La question reste alors de savoir si un déplacement de masse dû au tremblement de terre japonais aurait une influence observable, dans sept mois, sur l’axe de rotation terrestre. « Il faut bien comprendre que les différentes causes du déplacement progressif de l’axe de rotation sont concurrentes. » détaille le chercheur. « L’effet théorique du tremblement de terre japonais sera mêlé avec ceux des déplacements atmosphériques et océaniques, qui sont beaucoup plus importants durant la même période. »

Après modélisation, on évalue ainsi que le déplacement du pôle d’inertie (PI) terrestre imputable à l’atmosphère et aux océans est de l’ordre de 20 à 30 centimètres par jour. La théorie établit que le séisme japonais a pu provoquer un déplacement – brutal – du PI d’un peu moins de 15 centimètres…

« On voit que l’effet serait du même ordre de grandeur, mais il ne dure qu’un instant. La variation due aux autres facteurs est, elle, continue dans le temps. » Ainsi, le phénomène courant peut facilement masquer le phénomène exceptionnel, les déplacements atmosphériques et océaniques correspondant à près de 80% les déplacements observés du PI. « Toutes les données n’ont pas encore été réunies, et il est encore trop tôt pour comparer les mesures atmosphériques et océaniques avec celles relative à la position pôle d’inertie. Si un décalage apparait à la date du 11 mars 2011, il pourrait correspondre au déplacement théorique. Mais compte tenue de la précision des mesures, et malgré la magnitude du séisme, je doute que l’on observe quelque chose. »

De fait, nous pouvons déjà répondre à la question : « le séisme japonais a-t-il modifié l’axe de rotation de la Terre ? » Pour l’heure, non. Et si c’est théoriquement le cas, à terme, cela le sera de façon bien négligeable face aux effets prédominants des mouvements atmosphériques et océaniques.

Néanmoins, le séisme japonais est plus propice que jamais à l’observation du phénomène théorique d’un déplacement consécutif de l’axe d’inertie. En effet, à magnitude sismique égale, « le déplacement théorique du centre d’inertie a une amplitude différente en fonction de la latitude et de la direction dans laquelle les mouvements de masse ont eu lieu. A une latitude équatoriale, comme ce fut le cas à Sumatra en 2004, l’effet théorique est faible. » Ainsi, le déplacement théorique du PI a-t-il été estimé à seulement 2 centimètres pour Sumatra, contre 8 pour le Chili, alors que la magnitude du premier fut bien supérieure à celle du second.

« Pour du séisme de Valdivia en 1960 (de magnitude 9.5, la plus grande jamais enregistrée), le déplacement du PI fut théoriquement de 1 mètre. Cela correspond à un déplacement de l’axe d’inertie d’environ 30 millisecondes de degré, ce qui est supérieur à l’incertitude des modèles hydrométéorologiques. Si nous avions alors disposé de la puissance de calcul actuelle nous aurions très certainement pu mesurer ce déplacement.»

Reste que rechercher la trace d’une modification de l’axe d’inertie imputable à un séisme fait sens. « Ce phénomène existe théoriquement, et l’observer offrirait une confirmation à grande échelle des théorèmes de la Mécanique tel que le théorème du moment cinétique. Cela à un intérêt de connaissance fondamental. La modélisation de l’axe d’inertie nous permet aussi d’affiner notre connaissance sur l’intérieur de la Terre, ses propriétés d’élasticités, les dimensions du noyau, son aplatissement, etc. »

Pour sa part, l’étude des irrégularités de l’axe de rotation de la Terre sert de façon plus pragmatique à corriger les modèles qui servent aux positionnements GPS. « Si l’on ne prenait pas en compte ces irrégularités, au bout de sept mois, on commettrait une erreur d’environ 20 mètres dans la géo-localisation ! »

© Florian Gouthière (2010)

Vous trouverez ici un complément concluant notre entretien avec Christian Bizouard, sur la question – souvent évoquée – de la modification de la durée du jour par les séismes.

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