Des démonstrations extraordinaires, sans trucage… et sans mystère !
Préambule
À lire impérativement avant d’aller plus loin
La « catalepsie sous hypnose » sans hypnose
S’allonger sur une planche à clous
Briser des planches à mains nues
Marcher sur les braises, et caetera
Ressources complémentaires
Notes et références
Préambule
Certaines personnes font le juteux commerce… d’une promesse : celle de pulvériser les limites du corps humain. Ils affirment que d’incroyables pouvoirs – que dis-je, des super-pouvoirs ! – sont accessibles à qui suivrait leurs enseignements. Or, souvenez-vous : quand quelqu’un fait une affirmation extraordinaire, on n’est pas obligé de la croire sur parole, et on est même en droit de demander une preuve solide…
Mais qu’est-ce qu’une preuve solide ? Une démonstration faite sous nos yeux ? Certains « ne croient que ce qu’ils voient », mais il faut garder à l’esprit la facilité avec laquelle nous pouvons faire berner… Des illusions d’optiques aux performances des magiciens de cabaret, on sait qu’il est facile de tromper nos sens et d’exposer à nos yeux l’apparence de l’impossible.
Toutefois, se méfier des illusions n’est pas suffisant, et il faut étendre sa vigilance à… notre méconnaissance du champ des possibles. En effet, pour bluffer un auditoire, recourir à des trucages est parfois superflu ! Pourquoi un marchand de mystères se compliquerait-il la vie, alors qu’il peut présenter comme relevant du « surnaturel » des phénomènes simplement contre-intuitifs ou méconnus ?
La question n’est que rhétorique et, on va le voir au travers d’une poignée d’exemples, de telles pseudo-prouesses sont très souvent présentées (dans la littérature, à la télévision…) comme les preuves « les plus solides » (car frappantes visuellement) de l’existence « de pouvoirs à la limite de ce que la science peut prétendre expliquer ».
À lire impérativement avant d’aller plus loin
Attention : comme nous le précisons toujours lors des présentations publiques de ces « pouvoirs ordinaires du corps humain » (POCH [1]) : bien que les expériences présentées ne font appel « qu’à » des principes de physique ou de physiologie… il est indispensable de savoir très précisément comment appliquer ceux-ci. Réaliser ces exercices n’importe comment peut être très dangereux, aussi nous vous invitons à ne pas reproduire ces exercices chez vous.
Puisque vous êtes là, j’en profite pour préciser que l’essentiel des photographies illustrant cet article présentent des scènes du festival « Comment savoir si c’est vrai ? », que j’ai coordonné en mai 2016 pour la ville de Vitry sur Seine ; mille mercis à toutes les personnes qui permettent chaque année à ce fantastique festival d’exister.
Et puisque vous êtes toujours dans le coin, sachez que le sujet de ce billet fera a fait l’objet d’une présentation dans le Magazine de la santé (France 5) jeudi 8 décembre 2016 – ce qui vous permettra, grâce au « replay » (ou à YouTube, ci-dessous), de visualiser mes propos « en mouvement » !
La « catalepsie sous hypnose » sans hypnose
Par exemple, dans de nombreux reportages sur l’hypnose, pour nous démontrer qu’elle « permet de décupler les capacités physiques », on nous montre qu’elle est capable de procurer au corps humain une rigidité parfaite, le plonger dans un état dit de « catalepsie ». C’est impressionnant. Oui… Mais voilà : pour peu que l’on n’ait pas de problème de dos, tout le monde peut, en théorie, réaliser la même prouesse sans faire une seconde appel à l’idée d’hypnose. C’est de la bête physiologie, et de la bête physique [2]. Il faut un dos suffisamment creusé et cambré (rabattre la tête vers l’arrière aide beaucoup, bomber son ventre), et un positionnement adéquat au niveau des omoplates et des mollets (la gravure ancienne ci-contre décrit probablement la pire position à adopter…).
Si l’on a de bon tréteaux, on peut même faire monter une personne de poids moyen sur le volontaire, en posant un pied sur la cuisse, et l’autre sur sa poitrine. La pression ressentie est si faible que les volontaires allongés, s’ils ont les yeux fermés, peinent à croire qu’on leur a réellement grimpé dessus.
Cette performance, qui est régulièrement présentée à la TV comme la preuve ultime des pouvoirs de l’hypnose ne nécessite pas d’hypnotiser. Ce qui ne signifie pas, c’est très important de le souligner, que toutes les affirmations sur l’hypnose sont toutes fausses… Juste que cette prétendue démonstration ne démontre rien, et qu’on est en droit de demander un peu plus avant de se faire une opinion sur ses « pouvoirs extraordinaires ».
S’allonger sur une planche à clous
Pour « prouver » que la méditation peut annihiler toute sensation de douleur, on vous sort régulièrement l’argument des fakirs, qui ne frémissent pas une seconde sur leur planche à clous.
Avant de mettre quelqu’un dans la position du fakir, j’ai l’habitude de prendre pour premier volontaire … Un ballon. Si on lui fait rencontrer un clou… il éclate. Il servait la science, et c’était sa joie.
Prenons-en un second, et faisons lui rencontrer ma fidèle planche. Même avec beaucoup de pression, il est maintenant beaucoup plus difficile de le faire éclater. Alors ce ballon est-il un grand méditant ? J’en doute… L’explication est plutôt à chercher dans la répartition de la pression. Il faut exercer une certaine force pour qu’une pointe crève un ballon. Si on concentre toute la force sur une seule pointe, paf ! Mais si la même force est partagée sur une bonne centaine de clous parfaitement alignés… Il faut un poids, une force, environ 100 fois supérieure pour obtenir le même résultat !
Réaliser la performance avec un humain nécessite d’ être précautionneux : on ne doit pas poser tout son poids là-dessus. La planche que j’utilise a été conçue avec l’aide des (plus qu’excellents) menuisiers de la ville de Vitry, et est calculée pour supporter confortablement un humain de 70 kg, avec une masse correctement répartie. C’est sans vrai danger si on est précautionneux, que le corps est posé à plat, et la nuque protégée.
Les « fakirs d’un jour » qui se prêtent au jeu n’ont pas besoin de méditer avant de se prêter à l’exercice, puisque le jeu ne fait appel qu’à des principes de physique [3]… Les mêmes qui font que l’on ne s’enfonce pas dans la neige avec des skis aux pieds ! Là encore, ça ne discrédite pas tout ce qu’on peut dire de la méditation ou du fakirisme [4], mais cette preuve apparemment bluffante… n’est pas celle qu’on est en droit d’attendre, en tout cas !
Briser des planches à mains nues
Là encore, une époustouflante performance de tameshiwari (試し割り) se réalise sans mal… sans le moindre trucage. J’utilise pour ma part du vrai pin massif (deux centimètres d’épaisseur, c’est très bien), en prenant exactement les mêmes précautions que ceux qui affirment « canaliser un fluide mystérieux peut transformer leur frêle main en hache ». À savoir : veiller à ce que les veines du bois soient dans le bon sens (de même qu’avec des briques creuses on veillerait à ce que les trous soient dans le bon sens !), prendre du bois pas trop humide, et faire attention avec échardes !
Je tiens à le préciser : je n’ai jamais pratiqué le moindre art martial de type karaté (j’ai fait du kyūdō, remarquez, mais c’est peu violent) et je ne médite pas avant de m’amuser à cela… Ah, mais j’ai vu Kill Bill 2, au ciné, ça compte ? (spoiler : non)
Pour peu que l’on n’ait pas des os et des articulations trop fragiles [5], atteindre la force de rupture d’une planche de bois massif [6] est à la portée de quiconque ne s’arrête pas à la dernière seconde, et réalise le mouvement adéquat avec suffisamment de franchise, au point adéquat (l’axe central de la planche). Faut-il le préciser (mais précisons-le quand même) : il faut qu’il n’y ait rien au-dessous, il ne faut pas essayer de casser une planche à même la table !
Lorsque la première planche se brise, la rotation des demi-planches autour des petits axes (les taquets ou les crayons qui intercalent les planches) permet de transmettre beaucoup de la force, justement, à celle du dessous (notion de « moment de force », toussa…).
Encore une fois, n’essayez pas de faire ça sans connaître tous les paramètres en jeu [7]. Mais c’est, toujours, et uniquement, une application de la physique, et pas un pouvoir extraordinaire du corps humain.
Marcher sur les braises, et caetera
Je n’ai pas proposé à la ville de Vitry sur Seine ou à France 5 de réaliser une « marche sur les braises », car comme le dit très justement le physicien Henri Broch, pour cet exercice, « il ne faut pas confondre un faible risque de brûlure (il est peu fréquent de se faire mal) avec un risque de brûlure faible (quand on se fait mal, on se fait vraiment mal !) ». Mais là encore, le principe en jeu n’a rien de mystérieux. Il serait beaucoup plus impressionnant de voir une personne marcher sur une plaque de cuivre de 20 mètres de long portée à 100°C que sur des braises incandescentes sur une même longueur. Devinez-vous pourquoi ?
Pourquoi tant d’émissions et d’auteurs présentent comme « surhumain » ce qui ne l’est pas, et comme des « preuves » des tours qui n’en sont pas ?
Les performances (physiques ou intellectuelles) certains humains enseignent à notre espèce ses possibilités… et ses réelles limites. Songez au plongeur Jacques Mayol qui, en pulvérisant les records d’apnée de son époque, a permis aux chercheurs – ravis de voir leurs préjugés ainsi réfutés – de comprendre des aspects inédits de notre physiologie [8].
J’adorerais (et je sais que je partage ce point de vue avec de très nombreux zététiciens) que, dans notre galaxie, on puisse naître Jedi (Star Wars) ou devenir Jedi (Les Chèvres du Pentagone). Ce n’est, jusqu’à preuve du contraire, pas le cas. Mais je serais heureux qu’on m’apporte la preuve (plus solide qu’une pile de planches de pin massif, en tout cas) du contraire…
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Ressources complémentaires
Outre les riches notes qui caractérisent la plupart des billets de curiologie.fr, je ne saurais que trop vous conseiller la lecture de plusieurs ouvrages sur cette thématique des pouvoirs « bluffants bien qu’ordinaires » du corps humain. Des « fiches de lecture » sont en préparation pour plusieurs d’entre eux… je réactualiserais ce document au fil de leur publication, mais vous pouvez déjà commencer vos gammes avec les très accessibles (et en français) :
- Gourous, sorciers, savants, d’Henri Broch, aux éditions Odile Jacob ; le chapitre intitulé « développez vos pouvoirs » explore la physique de certaines « prouesses des moines Shaolin » (notamment la méthode pour briser sans douleur une perche contre le torse d’un volontaire). D’autres éléments sont également à glaner dans le classique Devenez sorcier, devenez savant, cosigné par le même auteur et Georges Charpak (chez le même éditeur).
- Esprit critique es-tu là ? 30 activités zététiques pour aiguiser son esprit critique, du collectif Cortecs, aux éditions Book-e-Book
Mes amis de l’Observatoire Zététique (Grenoble) proposent eux aussi d’excellentes conférences sur le sujet. Sollicitez-les, ils sont fantastiques !
Sur la question des arts martiaux, un mot-clef pourra vous mettre sur la voie de belles vidéos rigolotes et de très bons podcasts : bullshido !
Vos suggestions sont également les bienvenues dans les commentaires !
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Notes et références
[1] Toute ressemblance avec le nom d’une émission du service public présentée par l’un des co-animateurs du Magazine de la santé n’est absolument pas fortuite. Pour la petite histoire, ledit co-animateur tournait en Chine des séquences de ladite émission le jour de mon intervention sur France 5. Chine, pouvoirs « extraordinaires » du corps humain… l’émission explorera-t-elle des données scientifiques objectives, ou brossera-t-elle les mythes dans le sens de l’aiguille d’acupuncture ?
[2] Je m’aperçois que dossier sources/ressources sur le sujet « catalepsie » est sur mon ancien ordinateur, mais vous le savez bien, je ne laisse jamais bien longtemps les notes des articles sans mise à jour… Si je tarde, vous avez le droit constitutionnel de râler. [edit mars 2019 : pour ceux qui n’ont pas suivi mes (més)aventures informatiques, je n’ai jamais remis la main sur ladite machine ; je ne désespère pas de colliger les sources depuis les documents imprimés que j’aurais conservés… :/ ]
[3] Vous trouverez ci-dessous plusieurs ressources scientifiques et techniques pertinentes sur les planches à clous, qui m’ont notamment permis calibrer mon propre instrument de non-torture. Au passage, grand merci au Centre d’Analyse Zététique (le CAZ, à Nice) pour m’avoir suggéré de présenter un tel dispositif pour le festival « Comment savoir si c’est vrai ? » !
- Building a Better Bed of Nails Demonstration. Phys. Teach. 42, 438 (2004); doi:10.1119/1.1804664
- A simple way to build a bed of nails. Phys.Teach. 34, 227 (1996); doi:10.1119/1.2344413
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The bed of nails revisited. Manfred Bucher. American Journal of Physics 56, 806 (1988); doi:10.1119/1.15490
- Weight distribution in a bed of nails sandwich. Phys. Teach. 13, 52 (1975); 10.1119/1.2339067
[4] Voir notamment l’entrée que Robert Todd Carroll a consacré au fakirisme dans son Skeptic’s Dictionary (ici pour la traduction francophone). Vous pouvez aussi approfondir vos réflexions sur le fakirisme « sans trucage » (mais pas sans risque) avec un petit livre très intéressant Ben-Ghou-Bey. Mon père, ce fakir, de Jean Luc Goubey, aux éditions Book-e-Book.
[5] Attention : l’exercice reste (vraiment) très mauvais pour les articulations.
[6] On surestime fortement la force nécessaire pour briser certains matériaux… Je ne résiste pas de partager avec vous, pour illustrer mon propos, ce grand moment de télévision :
[7] Même constat que pour le dossier « catalepsie » (note 2). Je vous sers ça vite. Attention, les ressources sur le sujet s(er)ont de qualités diverses, et il m’a fallu trier, dans un même document, le bon grain de l’ivraie, à l’aide de mes propres connaissances en physique.
[8] Mais je m’aperçois, en l’écrivant, que je n’ai jamais vérifié cette allégation selon laquelle des théories physiologiques admises ont profondément été bouleversées par l’étude de Jacques Mayol (et des plongeuses Ama). Une rapide revue des « abstracts » de la littérature scientifique vient appuyer ce doute naissant… N’hésitez pas à me faire part de vos investigations sur la question !
Bonjour Florian. J’aimerais juste mettre un commentaire concernant les exercices et démonstrations de casse. Je pratique les arts martiaux et la casse depuis de nombreuses années et j’ai une certaine expérience et connaissance sur cette discipline. Alors bien evidemment, on peut tout expliquer par la physique. Le fait de positioner des matériaux entre deux supports et frapper au centre etc… Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est les types de matériaux que l’on essay de briser. Casser des petites planchettes à main nu comme vous faites ok c’est a la portée de tout le monde etc… Mais essayer de faire la meme chose sur un aglos en béton de 20 centimètres, une bordure en béton dur, des briques durs et compact posées sans espaces, des noix de coco etc.. et ce n’est pu la meme histoire. Ce que je veux dire c’est que meme si la physique expliquera toujour la chose, cela n’empèche pas que dans certain cas il s’agit réellement d’une prouesse nécessitant un veritable entrainement et un mentale d’acier. Mais cela ne signifie pas « pouvoir surhumain » mais simplement entrainement, technique et concentration, donc rien de surhumain si ce n’est que la capacité de se dépasser et de réussir des choses que beaucoup de gens n’arriveraient pas a réaliser sans entrainement et préparation.
Il en est de meme pour la planche a clous. Se positioner sur une planche avec des pointes espacés de 1 cm et le faire en restant habillé c’est a la porté de tout le monde et cela ne représente aucun dépassement! par contre se poser torse nu sur des clous espacés de 3 cm a 5cm et se faire casser a la masse des aglos sur le ventre va représenter un réel dépassement nécessitant l’acceptation de la douleur et une certaine technique etc.. voila.
Tout est une question de curseur sur l’échelle du courage, et de monter en précision et en technique, en effet. Briser un parpaing à la masse sur une planche à clous espacés est un « TP » universitaire bien décrit dans l’un des articles que j’ai sourcé dans SSDOTG, et en dépit de la clarté de la démonstration scientifique, je n’aurais pas envie de m’y amuser ! Pour les matériaux pour lesquels les contraintes de rupture st + élevées, je ne passerai pas non plus à l’exercice sans une gradation, pour me donner confiance et apprendre à ne pas interrompre ma course, ou ne pas taper de travers… On est d’accord
Tout le propos de ce billet est de mettre en garde contre les explications ésotériques imposées (parfois de bonne foi) par les démonstrateurs, pas de dire que les exercices sont un jeu d’enfant à la portée du premier curieux sans entraînement !